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Damien Roets, Le génocide des Tutsi du Rwanda : la thèse des complicités françaises au prisme des exigences du droit pénal

Le génocide des Tutsi du Rwanda : la thèse des complicités françaises au prisme des exigences du droit pénal[1]

Damien Roets, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences économiques de l’Université de Limoges, OMIJ

1. Dans les médias français de grande diffusion, la commémoration, en 2014, des vingt ans du génocide des Tutsi du Rwanda a été d’une grande discrétion (alors, pourtant, que la première condamnation en France d’un génocidaire aurait logiquement dû contribuer à lui donner plus d’écho[2]). Pour l’essentiel, l’opinion publique se souviendra (peut-être) de l’incident diplomatique survenu à l’occasion de la publication par l’hebdomadaire Jeune Afrique, le 6 avril, d’un entretien avec Paul Kagamé. Dans le prolongement de déclarations antérieures, le président rwandais y affirme que des soldats français ont été non seulement « complices » mais aussi « acteurs » des massacres. Le 7 avril, lors d’un discours prononcé pendant les cérémonies commémoratives du génocide, en l’absence du garde des Sceaux qui devait représenter le gouvernement français, dont la participation auxdites cérémonies avait été annulée in extremis en guise de représailles hexagonales, et alors que l’ambassadeur de France s’était conséquemment vu retirer l’accréditation nécessaire pour y assister, il réitérait ses accusations. Le 8 avril, le nouveau Premier ministre français, Manuel Valls, dans son discours de politique générale, proclamait : « Je n’accepte pas les accusations injustes et indignes qui pourraient laisser penser que la France ait pu être complice d’un génocide au Rwanda, alors que son honneur, c’est toujours de séparer les belligérants ! » – phrase pernicieuse en ce que, dans le prolongement de nombre de déclarations officielles antérieures, elle met en exergue la guerre qui opposait le Front patriotique rwandais[3] (FPR) aux Forces armées rwandaises (FAR) et, de facto, tend à occulter les massacres génocidaires. S’il n’est pas possible de rejeter péremptoirement l’accusation, spectaculaire, d’une participation directe de Français, en qualité de coauteurs, au génocide des Tutsi[4], ce qui retient l’attention dans l’interview de Paul Kagamé et dans la « réponse » de Manuel Valls, parce que relayée de longue date par de nombreux auteurs et militants associatifs, c’est l’accusation de complicité.

2. Dans son sens le plus courant, la « complicité » peut être définie comme la « participation à une action répréhensible »[5], le « complice » étant « celui qui s’associe à quelqu’un pour commettre [une telle action] »[6]. C’est assurément, et a minima, en ce sens que, à propos du génocide de 1994, divers propos et écrits évoquent la complicité de la France[7] ou de responsables politiques ou officiers français[8]. De telles accusations ont inéluctablement pour effet de faire planer le spectre infamant du droit pénal sur ces derniers dès lors que le terme « complicité » a un sens bien précis dans cette discipline juridique. Si certains auteurs entretiennent parfois un certain flou sémantique[9], la complicité est envisagée sans ambages dans son acception strictement pénale par d’autres[10]. Encore faut-il, d’emblée, rappeler que la France, en tant que personne morale, ne saurait voir sa responsabilité pénale engagée devant le Mécanisme international chargé d’exercer les fonctions résiduelles du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda[11] (ci-après « Mécanisme international ») ou devant la justice pénale française[12]. L’État rwandais aurait toutefois pu mettre en cause la responsabilité (civile) internationale de l’État français pour fait illicite devant la Cour internationale de justice. C’est d’ailleurs cette voie qui est implicitement préconisée par la Commission nationale indépendante chargée de rassembler des preuves montrant l’implication de l’État français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 lorsque, à la dernière page de son rapport du 15 novembre 2007 (ci-après « rapport Mucyo »), « elle recommande au gouvernement rwandais de se réserver le droit de porter plainte contre l’État français pour sa responsabilité dans la préparation et l’exécution du génocide de 1994 au Rwanda devant les instances judiciaires internationales habilitées »[13].

3. Au regard du Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda (ci-après « TPIR ») et du droit pénal français, la question n’est donc pas tant celle de la complicité de la France dans le génocide de 1994[14] que celle de la complicité de Français (responsables politiques, officiers de l’armée française, mais aussi simples soldats, mercenaires[15], dirigeants de sociétés de commerce d’armes ou encore dirigeants d’organismes financiers qui auraient financé l’achat de celles-ci) dans celui-ci[16]. Pour réprimer d’éventuelles complicités françaises, des poursuites peuvent théoriquement être exercées tant devant le Mécanisme international[17] que devant la justice pénale française. Des poursuites devant le Mécanisme international paraissent toutefois peu probables, sauf à imaginer que certains « décideurs » français, civils ou militaires, soient demain considérés comme appartenant à la catégorie des « plus hauts dirigeants soupçonnés de porter la responsabilité la plus lourde » dans la commission du génocide[18] – par le passé, le Bureau du Procureur du TPIR a plutôt manifesté son souci de ne pas avoir à se prononcer sur la question des complicités françaises[19]… S’agissant de la justice pénale nationale, il importe de souligner que, pour celle-ci, la question des complicités françaises dans la commission du crime de génocide perpétré au Rwanda n’est pas purement abstraite : des informations judiciaires ont été ouvertes après le dépôt de plusieurs plaintes[20]. Les procédures actuelles et à venir soulèvent un certain nombre de problèmes dont la résolution conditionne la possibilité même de qualifier le comportement de certains Français de « complicité » dans le génocide des Tutsi du Rwanda. Sur le fil du rasoir des conjectures factuelles, il s’agira ici de poser un certain nombre de jalons pour tenter de faire le départ entre ce qui relève ou pourrait relever de la responsabilité morale et/ou politique et ce qui relève ou pourrait relever de la responsabilité pénale[21], et cela en se gardant d’endosser la robe du juge – ainsi, d’ailleurs, que celle du procureur ou de l’avocat, et étant rappelé qu’en juin et juillet 1994, durant l’ambiguë opération « Turquoise », des militaires français ont vraisemblablement sauvé la vie à plusieurs milliers de Tutsi.

4. Les juridictions saisies de cas de complicités françaises dans le génocide des Tutsi, sans pouvoir, semble-t-il, statuer sur des actes qui seraient antérieurs au 1er mars 1994 (II), ont vocation à faire application de la loi pénale française (I). Une fois précisé le contenu particulier de l’acte principal punissable, en l’absence duquel l’« infraction à part entière »[22] de complicité ne saurait être consommée (III), émerge la question, s’inscrivant plus directement dans le débat général relatif au rôle des Français dans le génocide de 1994, des comportements punissables (IV).

I. L’applicabilité de la loi pénale française

5. Dans trois situations qui doivent être distinguées, les français suspectés de complicité dans le génocide des Tutsi du Rwanda poursuivis en France relèvent (relèveront) de la loi pénale française (à savoir les art. 121-6, 121-7, 211-1, 213-4 et 213-5 C. pén.) et non du Statut du TPIR (i.e. les art. 2§2 et 3-e et 6§1 et 3 du Statut).

6. Première situation : des Français sont complices du génocide en raison d’actes par eux commis en 1994 sur le territoire rwandais. À en croire un auteur, le principe de la légalité criminelle ferait obstacle à la compétence de la loi pénale française aux motifs que celle-ci « est étrangère aux faits, principal et accessoire, commis hors du territoire de la République »[23]. Il faut cependant réserver l’hypothèse dans laquelle l’infraction principale relève, à un titre ou à un autre, du juge pénal français. Dans ce cas, selon André Huet et Renée Kœring-Joulin, « de manière aussi simple qu’efficace, […] les tribunaux français sont compétents pour juger non seulement son auteur, mais aussi son complice, quels que soient la nationalité de celui-ci et le lieu où il a agi »[24]. C’est sur le fondement de cette opinion autorisée qu’il faut considérer que les complices français du génocide de 1994 peuvent être poursuivis en France pour des actes de complicité commis au Rwanda dès lors que les juridictions pénales françaises peuvent exercer leur compétence universelle à l’égard des auteurs principaux, Rwandais ou non[25], du génocide. Il ne s’agit donc pas ici d’un cas complémentaire de compétence personnelle active[26]. Indépendamment de la référence faite à la « loi française » par l’article 2, al. 1er, de la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995[27] auquel renvoie l’article 2, al. 1er, de la loi n° 96-432 du 22 mai 1996[28], cette compétence des juridictions pénales françaises emporte la compétence de la loi pénale française dès lors que, selon la Chambre criminelle, « la loi française est applicable chaque fois que les tribunaux français sont compétents »[29]. Certes, le principe, bien ancré[30], de solidarité des compétences législative et judiciaire fait l’objet de récurrentes et pertinentes critiques[31], mais son abandon à court ou moyen terme paraît peu probable, fût-ce au profit des seules normes de comportement figurant non pas dans une loi pénale étrangère mais dans une « loi » pénale internationale[32]. Quoi qu’il en soit, la Chambre criminelle a eu l’occasion de rappeler que, en application des « articles 1er et 2 de la loi [n° 96-432 du 22 mai 1996], les auteurs ou complices des actes qui constituent, au sens des articles 2 à 4 du statut du tribunal international, des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, des violations des lois ou coutumes de guerre, un génocide ou des crimes contre l’humanité, peuvent, s’ils sont trouvés en France, être poursuivis et jugés par les juridictions françaises, en application de la loi française »[33], sans distinguer entre normes de comportement et normes de pénalité (alors pourtant que la lecture de la circulaire du 22 juillet 1996 prise pour l’application de la loi du 22 mai 1996 pouvait éventuellement laisser à penser que la référence à la « loi française » ne visait que les seules normes de pénalité)[34], et sans manifester la moindre velléité d’appliquer le Statut du TPIR dans l’ordre juridique interne.

7. Deuxième situation : des Français sont complices du génocide en raison d’actes par eux commis en 1994 sur le territoire français. Dans cette configuration, l’article 113-5 du code pénal, suivant lequel « la loi pénale française est applicable à quiconque s’est rendu coupable sur le territoire de la République, comme complice, d’un crime ou d’un délit commis à l’étranger si le crime ou le délit est puni à la fois par la loi française et par la loi étrangère et s’il a été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère », s’il consacre l’applicabilité de la loi pénale française, semble constituer un obstacle à la compétence des juridictions françaises. Des Français complices d’actes génocidaires pourraient en effet ne pas être poursuivis en l’absence de condamnation définitive des auteurs principaux, lesquels (faute, par exemple, d’avoir été identifiés) pouvant ne pas avoir fait l’objet de poursuites au Rwanda (ou devant le TPIR, si tant est que l’on puisse assimiler celui-ci à une « juridiction étrangère »). Cet obstacle est, en réalité, fictif, dès lors que, dans la situation ici envisagée, l’applicabilité de la loi pénale française n’est pas la conséquence du rattachement au territoire national des actes de complicité mais, on l’a vu, de la compétence universelle qui permet aux tribunaux français de juger tant les auteurs étrangers du génocide que leurs complices, quelle que soit la nationalité de ces derniers. L’article 113-5 du code pénal est in casu « hors-jeu », puisqu’il « ne trouve son application que lorsque l’auteur du fait principal ne peut être jugé par les juridictions françaises »[35].

8. Troisième situation : des Français sont complices du génocide en raison d’actes commis en 1994 sur le territoire d’un État voisin du Rwanda (par exemple, le Zaïre, actuelle République démocratique du Congo). Comme dans les deux précédentes situations, il convient de considérer que les tribunaux français, dès lors qu’ils peuvent faire valoir leur compétence universelle pour les auteurs principaux (mais uniquement, en cette occurrence, de nationalité rwandaise)[36], sont compétents pour juger les complices français en faisant application de la loi pénale française.

9. Nolens volens, en l’état du droit positif, les juridictions françaises qui ont ou auront à connaître d’éventuelles complicités françaises dans le génocide des Tutsi ne peuvent et ne pourront qu’appliquer la loi pénale française[37] (la question se pose sans doute en des termes différents lorsque le juge pénal français est saisi sur délégation du TPIR[38] – aujourd’hui, du Mécanisme international). S’agissant des conditions de la complicité dans le génocide – exception faite, à propos de l’exigence d’un acte principal punissable, de la référence à l’existence d’un « plan concerté » dans la définition française du génocide[39] –, cette applicabilité ne semble pas engendrer le risque d’une discordance majeure avec le droit du TPIR dès lors que, par le truchement du code pénal rwandais, pour interpréter l’article 2§3-e de son Statut relatif à « la complicité dans le génocide », celui- ci s’est largement inspiré de la complicité au sens de l’article 60 du code pénal français de 1810 tel qu’interprété par la Chambre criminelle[40] (étant, d’une part, rappelé que l’actuel C. pén., art. 121-7 consacre grosso modo les mêmes formes de complicité que celles prévues par l’ancien code pénal[41], et, d’autre part, précisé que, selon le TPIR, « il n’y a pas par essence de différence entre la complicité visée à l’article 2§3-e du Statut et la définition au sens large donnée à l’expression “aider et encourager” à l’article 6§1 [de celui-ci] »[42]).

10. Poser le principe de la compétence de la loi pénale française ne signifie cependant pas que celle-ci doive être imperméable au droit international pénal : dans un dialogue avec le TPIR, confrontées à certaines difficultés substantielles, les juridictions pénales françaises pourraient (devraient) utiliser la jurisprudence de celui-ci aux fins d’harmonisation[43]. Autrement dit, si le Statut du TPIR et la jurisprudence y afférente ne sont pas directement applicables dans l’ordre juridique interne, ils ont naturellement vocation à constituer une source d’inspiration pour le juge pénal français (ce qui n’est pas dire que celui-ci puisse toujours s’y abreuver – l’on peut par exemple douter de la possibilité d’une réception dans l’ordre juridique interne de la théorie très sophistiquée dite « de l’entreprise criminelle commune » utilisée par le TPIR)[44].

11. Si l’applicabilité de la loi pénale française paraît s’imposer, elle trouve cependant, et selon toute vraisemblance, une limite temporelle : celle de l’entrée en vigueur du « nouveau » code pénal, le 1er mars 1994.

II. L’improbable répression des actes de complicité antérieurs au 1er mars 1994

12. La période généralement retenue pour déterminer chronologiquement le génocide des Tutsi du Rwanda court du 7 avril 1994, lendemain du jour où l’avion transportant le président Juvénal Habyarimana a été abattu[45], au 17 juillet 1994, date de la prise de Gisenyi par le FPR[46]. De graves exactions ayant été commises avant et après cette période, la résolution 955 du 8 novembre 1994 du Conseil de sécurité des Nations unies a créé « un tribunal international chargé uniquement de juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’États voisins, entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 »[47]. Les juridictions pénales françaises ayant compétence pour juger les personnes, auteurs ou complices, suspectées d’avoir participé au génocide[48], les dispositions du code pénal entrées en vigueur le 1er mars 1994 sont-elles rétroactivement applicables à la période comprise entre le 1er janvier et le 1er mars 1994 par application de la loi du 22 mai 1996[49] ? Si oui, les éventuels actes de complicité accomplis par des Français durant cette période en vue de s’associer au futur génocide tomberaient sous le coup de la loi pénale française[50]. En d’autres termes, l’universalité de la répression pour la période considérée induirait exceptionnellement la rétroactivité des normes nationales pénales nationales idoines, et les actes de complicité possiblement commis entre le 1er janvier et le 1er mars 1994 en vue de s’associer au futur génocide relèveraient des compétences judiciaire et législative françaises. Cette rétroactivité aurait très précisément pour intérêt de permettre, si besoin était, la mobilisation par anticipation de la qualification de génocide de l’article 211-1 du code pénal pour le laps de temps compris entre le 1er janvier et le 1er mars 1994 et, donc, de satisfaire la condition de punissabilité de l’acte principal à venir (quant à l’art. 121-7 du code pénal, dès lors qu’il prévoit substantiellement les mêmes formes de complicité que celles qui étaient visées à l’art. 60 du code pénal de 1810 et ne peut être considéré comme étant plus sévère que celui-ci, sa rétroactivité ne fait guère problème). L’on peut toutefois douter que le principe cardinal de non-rétroactivité puisse ainsi être refoulé par les lois des 2 janvier 1995 et 22 mai 1996 combinées[51], sauf, peut-être, à invoquer la Convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide par le truchement de la référence au « droit international » contenue dans l’article 7§1 Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[52] (ci-après « Conv. EDH »). Cette légalité criminelle internationale aurait alors vocation à produire des effets en deçà du 1er janvier 1994, ce qui présenterait un intérêt certain.

13. Compte tenu de l’implication militaire de la France au Rwanda entre octobre 1990 et décembre 1993, quid, en effet, des actes de complicité éventuellement intervenus durant cette période ? La question se pose avec une particulière acuité à partir de novembre 1992 : le 21 novembre 1992, au centre militaire de Butotori, s’est tenue une réunion secrète d’extrémistes Hutu, présidée par le général Bagosora, arrêtant définitivement, semble-t-il, le projet d’extermination des Tutsi[53] (la date du 22 nov. 1992 peut également être retenue, qui est celle du discours tenu à Kabaya par Léon Mugesera, vice-président du MRND[54], invitant à exterminer la population tutsi et ses complices)[55]. À supposer, par exemple, que des membres du Détachement militaire à l’instruction (DAMI) et/ou des coopérants militaires français aient formés des militaires et/ou des gendarmes et/ou des miliciens rwandais durant cette période, en toute connaissance du projet génocidaire – ce qui reste à démontrer – et avec la volonté de s’y associer, peuvent-ils être poursuivis en France pour complicité de génocide ? La question peut paraître incongrue, dès lors qu’ils ne peuvent l’être devant le Mécanisme international qui, comme hier le TPIR, ne peut connaître de faits antérieurs au 1er janvier 1994 (même pas par le vecteur de l’« entente en vue de commettre un génocide »[56] »). Elle ne l’est cependant pas si l’on se souvient que le premier paragraphe de l’article 7 de la Conv. EDH adopte une conception large la légalité criminelle en y incluant, outre le « droit national », le « droit international » – formulation à laquelle il n’est peut-être pas totalement extravagant de vouloir faire produire un « effet utile »… Le raisonnement, en trois temps, pourrait, alors, être le suivant :

1) avant le 1er mars 1994, la complicité de crime était punissable en application de l’article 60 de l’ancien code pénal (remplacé, en mars 1994, par l’art. 121-7 de l’actuel code pénal) ;

2) avant cette même date, le génocide était internationalement incriminé par l’article II de la Convention du 9 décembre 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide à laquelle la France est partie ;

3) donc, les éventuels actes de complicité intervenus avant le 1er mars 1994 tombent sous le coup de l’article 121-7 du code pénal, les dispositions de l’article 211-1 du code pénal n’ayant fait que « constater » le génocide, infraction internationale préexistante[57].

Cette solution ne pourrait cependant être retenue sans un revirement de jurisprudence, puisque, pour l’heure, la Chambre criminelle refuse de voir dans l’article II de la Convention de 1948 une véritable infraction, estimant que la définition qu’il donne des éléments constitutifs du génocide manque de précision et d’accessibilité[58]. De lege lata, et en raisonnant dans le seul cadre (sans doute trop étroit) de la légalité criminelle nationale, il paraît difficile d’admettre que l’on puisse être complice d’une infraction qui, bien que réalisée à un moment T2 (entre le 7 avr. et le 17 juill. 1994), n’existait pas encore et, partant, n’aurait pu être consommée au moment T1 où l’acte de complicité a été commis (avant le 1er mars 1994). Dans cette perspective, il pourrait en outre être soutenu qu’il serait étrange de permettre la répression de la complicité d’une infraction non encore punissable quand la répression de la complicité d’une infraction qui ne l’est plus est exclue[59]. Force est donc de considérer que, sous réserve d’une évolution souhaitable, mais peu probable, de la jurisprudence de la Chambre criminelle, les juridictions pénales françaises ne peuvent connaître d’actes de complicité dans le génocide des Tutsi qui auraient été commis avant le 1er mars 1994 (comme ils ne peuvent connaître d’éventuels actes de complicité de crimes contre l’humanité qui auraient été commis avant cette même date)[60]. Des actes antérieurs au 1er mars 1994 pourraient cependant être pris en considération pour éclairer la conduite d’un mis en examen ou d’un accusé après cette date[61]. S’agissant de la période courant du 1er janvier au 1er mars 1994, la compétence des juridictions pénales françaises n’est concevable que dans l’hypothèse, précédemment écartée[62], où elles feraient application du Statut du TPIR (mais, alors, ledit Statut aurait également et logiquement vocation à s’appliquer aux faits commis entre le 1er mars et le 31 déc. 1994…).

14. Les juridictions françaises sont donc compétentes pour juger, en leur appliquant la loi pénale française, les Français qui, au Rwanda, dans un État voisin du Rwanda ou en France, auraient commis des actes de complicité dans le génocide des Tutsi entre le 1er mars et le 31 décembre 1994 (le laps de temps compris entre le 17 juillet et le 31 décembre 1994 pourrait être pris en considération si des cas de complicité ex post facto pouvaient être caractérisés)[63]. Avant même d’envisager les types de comportements qui pourraient donner lieu, demain, en France, à des condamnations pour complicité dans le génocide des Tutsi, il convient d’évoquer la condition préalable nécessaire à la consommation de l’infraction de complicité : la présence d’un acte principal punissable, lequel revêt, dans le cas du crime de génocide, certaines particularités.

III. Le particularisme de l’acte principal punissable

15. En matière de complicité de génocide, évoquer, selon la formule consacrée, l’« acte principal punissable » (ou le « fait principal punissable ») n’est pas dépourvu d’ambiguïté. Plus qu’un « acte », le génocide, infraction collective, est un ensemble d’actes. L’acte principal punissable n’est pas en soi cet ensemble d’actes constitutifs du génocide mais l’un (ou plusieurs) des actes énumérés à l’article 211-1 du code pénal (l’« atteinte volontaire à la vie », l’« atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique ou psychique », la « soumission à des conditions d’existence de nature à entraîner la destruction totale ou partielle du groupe », les « mesures visant à entraver les naissances » et le « transfert forcé d’enfants »), commis « en exécution d’un plan concerté », dans le but de participer à la destruction, totale ou partielle, « d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou […] déterminé à partir de tout autre critère arbitraire ». L’acte principal punissable doit ainsi être pensé à la fois dans sa singularité et en tant que, en relation avec de nombreux autres actes du même type, il participe d’un projet génocidaire au sens de l’article 211-1 du code pénal. Le juge pénal doit ainsi à la fois identifier l’acte ou les actes principaux punissables relevant de l’énumération de l’article 211-1 du code pénal auxquels la personne suspectée de complicité s’est précisément associée et caractériser l’existence du crime collectif de génocide au sens de ce même article.

16. Dans le cas du Rwanda, l’existence d’un génocide, n’en déplaise aux négationnistes[64], n’est pas seulement historiquement avérée[65] : elle a été judiciairement reconnue dès 1998, dans l’affaire Akayesu, par le TPIR[66], la Chambre d’appel de celui-ci ayant par ailleurs affirmé, le 16 juin 2006, dans l’affaire Karamera, Ngirumpatse et Nzirorera, que « le génocide perpétré au Rwanda en 1994 est un fait de notoriété publique »[67]. Quant à la référence, « maladroite et inutile »[68], dans l’article 211-1 du code pénal, à « l’exécution d’un plan concerté », qui participe d’une nationalisation critiquable du crime international de génocide en ce qu’elle tend à en restreindre le champ d’application[69], elle ne paraît pas constituer un obstacle à la répression d’éventuelles complicités françaises dans le génocide des Tutsi, le TPIR ayant affirmé en 1999, dans l’affaire Clément Kayishema et Obed Ruzindana, qu’« il existait bel et bien un plan génocide au Rwanda, lequel a été mis à exécution entre avril et juin 1994 »[70] (ce « macro-plan » se déclinant, à l’échelon local, en de multiples « micro-plans » d’extermination – de multiples « réunions de planification des massacres »[71]). Si la négation de ce plan par la justice pénale française est abstraitement envisageable[72], elle heurterait frontalement la primauté du TPIR sur les juridictions nationales (cette primauté n’est pas uniquement d’ordre fonctionnel, et la compétence de la loi pénale française ne saurait être une compétence autistique). En rendant impossible la répression des actes de complicité, dès lors que la qualification de « génocide » au sens de l’article 211-1 du code pénal serait écartée, elle engendrerait inévitablement, par ailleurs, une très malencontreuse suspicion de protection des personnes mises en cause, lesquelles, de toute façon, ne pourraient (pourront) être condamnées qu’à la condition que puisse leur être reproché un comportement tombant sous la qualification de « complicité ».

IV. Les comportements punissables

17. Des Français se sont-ils, en 1994, au Rwanda, rendus complices d’atteintes volontaires à la vie et/ou d’atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique[73] commises par des Rwandais entre le 7 avril et le 17 juillet et participant d’une volonté d’éradication du « groupe » des Tutsi ? Pour tenter de répondre à cette question, il pourrait sembler logique de s’appuyer sur la seule distinction, classique, entre « élément matériel » et « élément moral » de l’infraction. Toutefois, plutôt qu’à l’aune de cette dichotomie, eu égard à un certain nombre de faits, d’hypothèses et d’accusations autour desquels se construit le débat la concernant, la thèse des complicités françaises dans le génocide de 1994 sera appréhendée, dans ses dimensions matérielle et psychologique, en distinguant entre complicité par action (B) et complicité par abstention (C), non sans qu’aient été préalablement données quelques précisions relatives à l’élément moral de la complicité de génocide (A).

A. Les contours de l’élément moral de la complicité dans le génocide

18. La complicité est intentionnelle en ce sens que le complice doit avoir voulu s’associer à l’infraction principale[74]. Est donc complice de l’infraction collective de génocide la personne qui a volontaire- ment contribué à la réalisation d’un ou plusieurs actes relevant de l’énumération de l’article 211-1 du code pénal en sachant que cet acte ou ces actes allaient être ou étaient commis, en exécution d’un plan concerté, dans le but de détruire totalement ou partiellement un groupe national, ethnique, racial ou religieux ou déterminé à partir de tout autre critère arbitraire. La volonté de s’associer à un génocide suppose donc la volonté d’apporter son concours à l’un ou plusieurs des actes énumérés à l’article 211-1 du code pénal ainsi que la connaissance du fait que cet acte ou ces actes s’inscrivent dans le cadre du projet génocidaire tel que défini par ce même article.

19. Le complice d’un génocide doit-il, en plus, partager avec les auteurs principaux l’intention de détruire totalement ou partiellement tel groupe national, ethnique, racial ou religieux ou déterminé à partir de tout autre critère arbitraire (souvent qualifiée de « dol spécial »)[75] ? Répondre positivement à cette question aurait pour conséquence inéluctable de limiter les possibilités de poursuivre et de condamner les éventuels complices français du génocide des Tutsi. Dans son arrêt du 23 janvier 1997, rendu dans l’affaire Papon, la Chambre criminelle a eu l’occasion d’indiquer que, selon elle, « l’article 6 du Statut du Tribunal militaire international [de Nuremberg] n’exige pas que le complice de crimes contre l’humanité ait adhéré à la politique d’hégémonie idéologique des auteurs principaux »[76]. Cette conception de l’élément moral de la complicité de crime contre l’humanité rejoint, mutatis mutandis, l’analyse que fait le TPIR de la complicité de (dans le) génocide. Selon ce dernier, en effet, « le complice dans le génocide n’a […] pas nécessairement à être lui-même animé du dol spécial du génocide, qui requiert l’intention spécifique de détruire en tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel »[77]. Pour le TPIR, qui considère que l’élément moral de la complicité dans le génocide de l’article 2§3-e du Statut ne se distingue pas de celui exigé pour l’aide ou l’encouragement visés à l’article 6§1[78] applicable à tous les comportements incriminés par le Statut, « la mens rea du complice consiste dans sa connaissance, d’une part, de la mens rea de l’auteur principal du crime et, d’autre part, du fait que son comportement contribuerait à la perpétration du crime »[79]. À la lumière de cette conjonction de jurisprudences – qui fait obstacle à l’instauration d’une probatio diabolica : la preuve du partage entre l’auteur et le complice des motivations idéologiques qui sont eu cœur de l’intention génocidaire –, il convient de considérer que des comportements de complicité dans le génocide de 1994 pourraient être caractérisés à l’encontre de Français quand bien même ceux-ci n’auraient pas partagé la haine raciale[80] et la volonté destructrice dirigées contre la population tutsi avec les auteurs principaux.

B. L’hypothèse de complicités par action

20. C’est l’hypothèse en quelque sorte « naturelle », dans la mesure où, en principe, la « complicité par aide ou assistance » de l’article 121-7, al. 1er, du code pénal « ne peut s’induire d’une simple inaction ou abstention, mais […] suppose l’accomplissement d’un acte positif »[81] et où la complicité par provocation (prenant la forme d’un don, d’une promesse, d’une menace, d’un ordre ou d’un abus d’autorité ou de pouvoir) et la complicité par fourniture d’instructions de l’article 121-7, al. 2, du code pénal ne peuvent, par essence, prendre la forme d’une omission. Seront ainsi successivement présentées l’hypothèse de complicités par provocation (1), celle de complicités par fourniture d’instructions (2) et celle de complicités par aide ou assistance (3).

1. Des complicités par provocation ?

21. Selon l’article 121-7, al. 2 du code pénal, « est […] complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ». Même si l’on écarte la thèse – a priori extravagante – selon laquelle de hauts responsables politiques et/ou officiers auraient commandité le génocide des Tutsi du Rwanda[82], des cas de complicité par provocation paraissent envisageables. Ainsi, par exemple, dans le développement qu’il consacre à la collaboration entre les militaires français et les militaires rwandais et miliciens Interahamwe durant le génocide, le rapport Mucyo – très « à charge », il est vrai –, entre autres témoignages, relate le témoignage suivant d’un ancien militaire rwandais : « [Les militaires français] nous ont ordonné d’aller aux alentours traquer l’ennemi, c’est-à-dire le Tutsi, qui se serait caché dans les buissons et de les [sic] tuer tous à la machette. Nous l’avons fait, et effectivement, nous avons tué des Tutsi qui s’étaient cachés dans les buissons »[83].

22. À supposer qu’ils puissent être prouvés, des ordres de ce type ne relèveraient cependant pas de l’article 121-7, al. 2, du code pénal qui pourtant, parmi les formes possibles de complicité par provocation, vise l’« ordre » et l’« abus d’autorité ». En effet, de telles provocations entrent dans le champ d’application de l’article 211-1 du code pénal, lequel vise le fait « de commettre ou de faire commettre », à l’encontre d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, l’un des actes par lui énumérés. Pour le crime de génocide, le complice par provocation n’est donc pas complice, mais, en réalité, par la volonté du législateur, auteur principal[84]. Des militaires français qui auraient adopté le comportement décrit dans le témoignage sus-cité devraient donc être poursuivis en qualité de coauteurs du génocide des Tutsi.

23. En revanche, dès lors que l’on admet que la « complicité de complicité » (ou « complicité indirecte »[85]) est punissable[86], des officiers qui auraient enjoint à des subordonnés de se rendre complices d’actes génocidaires pourraient être considérés comme étant eux-mêmes complices desdits actes. Est essentiellement envisagée ici la provocation qui aurait pris la forme d’un ordre d’aider ou d’assister des tueurs (complicité par provocation de complicité par action) ou d’un ordre de s’abstenir d’empêcher ceux-ci de tuer (complicité par provocation de complicité par abstention[87]). Ces figures de la complicité de complicité, si elles étaient utilisées par les juridictions pénales, feraient opportunément écho à l’article 6§3 du Statut du TPIR relatif à la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique pour « l’un quelconque des actes visés aux Articles 2 à 4 », dont la « complicité dans le génocide » de l’article 2§3-e[88].

2. Des complicités par fourniture d’instructions ?

24. Au côté de la complicité par provocation, l’article 121-7, alinéa 2, du code pénal vise le cas de « la personne qui aura […] donné des instructions pour […] commettre » l’infraction principale. De telles « instructions » consistent en des « indications assez précises et utiles pour servir de guide de comportement à l’auteur principal »[89] (des « indications imprécises, inutiles ou banales ne doivent pas être regardées comme des instructions »[90]). Des Français ont-ils en 1994, au Rwanda ou depuis le territoire d’un État limitrophe de celui-ci ou encore depuis le territoire français, donné des instructions ayant été utilisées par des auteurs d’atteintes à la vie ou d’atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique réalisées dans le cadre de l’entreprise d’extermination des Tutsi ? Il est difficile de trouver des exemples de comportements correspondant à ce cas de complicité dans les rapports et ouvrages consacrés au génocide de 1994. De tels comportements, s’ils étaient prouvés, ne pourraient être réprimés au titre de la complicité qu’à condition que soit identifiée la volonté d’agir en toute connaissance du génocide en cours. Par ailleurs, à l’instar de la complicité par provocation, la complicité de complicité (complicité par fourniture d’instructions avec intermédiaire) pourrait être réprimée[91].

3. Des complicités par aide ou assistance ?

25. Aux termes de l’article 121-7, al. 1er du code pénal, « est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation ». La thèse des complicités françaises dans le génocide des Tutsi du Rwanda repose principalement sur ce cas de complicité[92]. En aval de cette aide ou assistance intervenue avant ou pendant le génocide, il reste encore à savoir si des Français ont aidé des génocidaires à fuir le Rwanda à l’issue des massacres, et si une telle aide peut revêtir la qualification de « complicité ».

a – Aide ou assistance avant ou pendant le génocide

26. Il ne saurait être ici question de recenser exhaustivement les diverses formes d’aide ou d’assistance apportées par un certain nombre de Français, civils ou, surtout, militaires, aux autorités rwandaises avant le génocide des Tutsi. Pour s’en tenir à l’essentiel, il peut être rappelé que, pour la période 1990-1993 (opération « Noroît »), la Mission d’information de la commission de la défense nationale et des forces armées et de la commission des affaires étrangères sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994, dans son Rapport enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 décembre 1998 (ci-après « Rapport de la Mission d’information de l’Assemblée nationale ») a notamment reconnu l’envoi d’un conseiller auprès de l’état-major[93], une « assistance technique du DAMI » à des membres des FAR[94], des « conseils donnés aux FAR »[95], une assistance technique à des gendarmes[96] – dont certains étaient membres de la redoutée Garde présidentielle[97] –, un « engagement sur le terrain »[98], une « surveillance active sous forme de patrouilles et de “check-points”, […] en liaison avec la Gendarmerie rwandaise, condui[sant] incontestablement à pratiquer des contrôles sur les personnes »[99] et, enfin, des livraisons d’armes, « dans un cadre légal entre 1990 et le 8 avril 1994 »[100] – il faut rappeler ici que, contrairement à une idée reçue, le génocide des Tutsi n’a pas été exclusivement perpétré à la machette[101]. Il peut également être relevé que, dans son ouvrage Le sabre et la machette, François Graner, se fondant sur des déclarations d’officiers, constate qu’en 1993 « la simple coopération [était] largement dépassée »[102] et que les Français « contrôl[aient] l’armée rwandaise »[103]. Toujours en ce qui concerne la période antérieure au génocide, des auteurs font état de la participation de militaires et/ou de mercenaires français à la préparation et/ou à l’exécution de l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion présidentiel[104], lequel aurait été commis par des extrémistes Hutu pour donner le « signal » du déclenchement des massacres génocidaires et du coup d’État à venir[105]. Si une telle participation était avérée, les militaires ou mercenaires impliqués, en plus du chef d’atteintes ou de complicité d’atteintes volontaires à la vie en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur[106], pourraient être poursuivis pour complicité, par aide ou assistance, de génocide, un concours idéal d’infractions pouvant être retenu à leur encontre dès lors que la qualification de génocide, par-delà la vie humaine, protège l’Humanité en tant qu’entité distincte des hommes qui la constituent[107].

27. Pour ce qui concerne la période du génocide (du 7 avril au 17 juillet 1994), la France aurait livré des armes aux autorités rwandaises, certaines de ces livraisons étant vraisemblablement postérieures à l’embargo des Nations unies du 17 mai 1994[108]. Par ailleurs, le Rapport Mucyo contient de graves accusations de « collaboration entre militaires français et […] miliciens Interahamwe dans la continuation des assassinats des Tutsi »[109] durant l’opération « Turquoise ». Entre autres nombreux témoignages relatifs au comportement de certains militaires français, fin juin 1994, celui de Calixte Gashirabake « donne des exemples précis de triage des déplacés, à la recherche de Tutsi, à une barrière tenue par les militaires français et les FAR, et qui étaient confiés par les militaires français aux FAR pour être tués »[110]. Enfin, il importe de rappeler le rôle pour le moins ambigu joué par le personnel de l’ambassade de France lors du coup d’État intervenu dans les trois jours qui suivirent l’attentat du 6 avril 1994[111], à l’origine de l’instauration du Gouvernement intérimaire rwandais (GIR) officiellement établi le 9 avril 1994.

28. Ces divers constats et allégations, envisagés sous l’angle du droit pénal, appellent quelques observations. Il convient tout d’abord de rappeler que les actes d’aide ou d’assistance survenus avant le 1er mars 1994 échappent, pour les raisons précédemment indiquées[112], à la compétence des juridictions pénales françaises. Pour ces actes, donc, les accusations de « complicité » – si tant est qu’elles soient juridiquement fondées – peuvent contribuer à nourrir le débat d’intérêt général et historique sur le rôle de la France et des Français dans le génocide des Tutsi, mais ne peuvent faire l’objet d’un débat judiciaire.

29. Il faut ensuite revenir, une nouvelle fois, sur la structure de l’infraction principale de génocide, pour rappeler que, dans sa matérialité, l’aide ou l’assistance potentiellement constitutive de complicités dans le génocide de 1994 ne peut être appréhendée en des termes généraux : elle doit porter sur des atteintes volontaires à la vie ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique (pour n’évoquer que ces deux types d’actes) clairement identifiées dans l’espace et dans le temps. Elle doit, de plus, avoir été causale : « l’activité déployée par le complice doit avoir effectivement contribué à la réalisation de l’infraction accomplie par l’auteur »[113]. Bien qu’« extrêmement lâche [car] reposant sur l’idée de probabilité plus que sur celle de certitude »[114], cette exigence de causalité paraît de nature à faire obstacle à l’engagement de la responsabilité pénale d’officiers ou de responsables politiques non présents sur le territoire du Rwanda au moment des meurtres ou des violences. En effet, autant la complicité par fourniture d’instructions est, au moins en théorie, envisageable hors les lieux mêmes de commission d’atteintes volontaires à la vie et d’atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique, autant la complicité par aide ou assistance de telles atteintes ne paraît concevable que dans le cadre d’une relation de proximité géographique (physique) entre les auteurs principaux et les complices. C’est d’ailleurs dans une telle configuration spatiale que s’inscrivent les graves accusations précédemment évoquées de « collaboration entre militaires français et […] miliciens Interahamwe dans la continuation des assassinats des Tutsi »[115]. Une exception doit cependant être faite en ce qui concerne les livraisons d’armes pendant le génocide : les personnes (physiques et morales) qui auraient participé depuis la France ou depuis le territoire d’un État voisin du Rwanda à un tel commerce, en qualité de vendeur ou de financeur, pourraient voir leur responsabilité pénale engagée dès lors que serait prouvée l’utilisation d’une arme ou d’un lot d’armes donnés pour perpétrer des massacres précisément caractérisés dans l’espace et dans le temps.

30. Enfin, abstraction faite des difficultés liées à l’application de la norme pénale dans le temps, il importe d’observer que, s’agissant de l’aide ou de l’assistance aux génocidaires avant les massacres, le discours développant la thèse des complicités françaises dans le génocide de 1994 soulève de sérieuses difficultés, ayant tendance à s’appuyer sur un syllogisme contestable. La majeure consiste à constater que la France (des Français) a (ont) aidé les autorités rwandaises, notamment sous la forme de conseils et d’aides à caractère technique aux militaires et gendarmes et d’un soutien au GIR. La mineure tient dans le constat qu’un génocide a été perpétré entre le 7 avril et le 17 juillet 1994. D’où la conclusion : des Français sont indubitablement complices du génocide des Tutsi. Ce syllogisme, trop englobant, ne tient pas compte de la nécessité pour le juge pénal d’établir un lien entre telle forme d’aide ou d’assistance, intervenue tel jour en un lieu donné, et tel(s) meurtre(s) ou violences commis à une date et en un lieu déterminés. Il tend par ailleurs à évacuer la question de l’état d’esprit des Français qui ont ou auraient apporté leur aide ou assisté des militaires ou des miliciens rwandais ayant participé au génocide. De nombreux ouvrages et études consacrés au rôle de la France dans le génocide de 1994 mettent en effet en exergue l’obsession des autorités françaises : empêcher la victoire du FPR, en prêtant main forte aux autorités politiques et militaires rwandaises qui le combattaient, pour endiguer l’influence anglo-saxonne dans la région. Au plus haut niveau de l’État français, cette obsession apparaît, par exemple, dans ces propos de François Mitterrand, tenus lors d’une réunion en 1991 : « On ne peut pas limiter notre présence [au Rwanda]. Nous sommes à la limite du front anglophone »[116] (c’est en considération de ce « risque anglophone » que, par exemple, en février 1993, la France enverra au Rwanda un contingent supplémentaire pour empêcher la prise de Kigali par le FPR). Selon Jean-François Dupaquier, le service de renseignements militaires rwandais a procédé à des opérations d’intoxication psychologique des autorités françaises, prenant la forme de fausses interceptions de messages de radio-opérateurs du FPR, « pour entraîner Paris dans une longue guerre contre des ennemis imaginaires “ougando-tutsi” »[117]. Ce « syndrome de Fachoda »[118], évoqué par de nombreux auteurs[119], ne saurait cependant réduire à néant la thèse des complicités françaises dans le génocide des Tutsi. En effet, outre que les témoins oculaires de massacres en avril, mai ou juin 1994 pourraient difficilement arguer d’une confusion entre combattants du FPR et civils tutsi, il peut être ici rappelé que dans les premiers mois de l’année 1993 les plus hautes autorités françaises avaient été informées du caractère problématique du soutien militaire apporté au Rwanda dans un contexte de massacres d’ores et déjà perpétrés à l’encontre de la population tutsi et impliquant la présidence rwandaise[120].

31. Pour chacun des comportements qui pourrait être objectivement qualifié d’« aide » ou d’« assistance » à la commission d’un ou plusieurs meurtres ou de violences aux personnes avant ou pendant le génocide de 1994, la volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire doit être présente. En l’espèce, quatre hypothèses semblent pouvoir émerger. Première hypothèse : des Français ont apporté leur aide ou leur assistance à des militaires, gendarmes ou miliciens rwandais[121] auteurs d’atteintes volontaires à la vie ou d’atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique avec la volonté de s’y associer. Dans ce cas, leur responsabilité pénale est engagée, quand bien même auraient-ils agi dans le but de permettre l’exercice d’un « chantage au génocide » pour stopper l’avancée du FPR[122], les mobiles étant, on le sait, indifférents en droit pénal. Deuxième hypothèse : des Français ont apporté leur aide ou leur assistance à des militaires, gendarmes ou miliciens rwandais auteurs d’atteintes volontaires à la vie ou d’atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique afin de lutter contre le FPR mais en sachant que cette aide ou cette assistance aurait pour effet de favoriser l’entreprise génocidaire, cet effet « secondaire » étant en quelque sorte assumé[123]. Leur responsabilité est, alors, également engagée, le mobile belliciste ne pouvant être retenu. Troisième hypothèse : des Français ont apporté leur aide ou leur assistance à des militaires, gendarmes ou miliciens rwandais auteurs d’atteintes volontaires à la vie ou d’atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique afin de lutter contre le FPR en ayant conscience que cette aide ou cette assistance était susceptible de favoriser l’entreprise d’éradication de la population tutsi mais sans vouloir s’associer à celle-ci. La thèse de la complicité paraît in casu difficile à retenir : prendre le risque – fût-il d’une extrême gravité – de favoriser la commission d’actes génocidaires n’est pas vouloir s’y associer ; sauf, peut-être, à promouvoir exceptionnellement la théorie du dol éventuel (stricto sensu) selon laquelle « les fautes non intentionnelles les plus graves [sont] assimilées à de véritables intentions »[124]. Quatrième, et dernière, hypothèse : des Français ont apporté leur aide ou leur assistance à des militaires, gendarmes ou miliciens rwandais auteurs d’atteintes volontaires à la vie ou d’atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique dans le but de lutter contre le FPR sans avoir eu conscience que cette aide ou que cette assistance allait être utilisée à des fins génocidaires – ce qui n’exclut pas que, parmi ces Français, certains d’entre eux aient pu avoir, par ailleurs, connaissance du génocide à venir ou en cours. Dans ce dernier cas, leur responsabilité ne saurait être engagée. En toute hypothèse, il ne saurait y avoir complicité dans le génocide sans connaissance de l’intention génocidaire des auteurs principaux.

32. D’une certaine façon, l’histoire du Rwanda de 1959 à 1994 peut être lue comme celle d’un chemin menant au génocide, les Tutsi ayant été victimes de massacres « à caractère génocidaire »[125] à plusieurs reprises (notamment entre 1959 et 1963, en 1973 et entre 1990 et 1993). Pour certains auteurs, ce long et douloureux prélude au génocide des Tutsi induirait la connaissance du projet génocidaire par les civils et militaires français impliqués au Rwanda dans les années 1990[126]. Selon Emmanuel Cattier, il ressort du Rapport de la Mission d’information de l’Assemblée nationale que « des responsables français connaissaient [l’intention génocidaire] dès le début des années 1990 »[127]. Il faut toutefois souligner que le constat établi a posteriori d’un enchaînement de faits menant au génocide ne permet pas d’affirmer que les protagonistes et les témoins de ces faits avaient nécessairement conscience de l’intention génocidaire qui allait s’incarner dans les massacres du printemps 1994 (selon Hélène Dumas, les rescapés du génocide ne cèdent d’ailleurs pas à cette « illusion rétrospective de la fatalité »[128] ; « c’est même tout le contraire »[129] : « ils insistent tous sur la différence de nature et de degré entre les violences infligées aux Tutsi au cours des décennies et le génocide de 1994 »[130]). Il convient aussi de remarquer que la possible connaissance par « des responsables français », au début des années 1990, du projet génocidaire n’emporte pas ipso facto celle de tels militaires ou de tels civils français qui se verraient reprocher une aide ou une assistance à la commission du génocide encore à venir.

33. En ce qui concerne les actes d’aide ou d’assistance possiblement commis entre le 7 – voire le 6 – avril et le 17 juillet 1994, à la lumière de divers propos et écrits de l’époque, la méconnaissance de l’atroce réalité du génocide est une hypothèse peu crédible à partir de la mi-avril[131]. Toutefois, d’aucuns (notamment les acteurs de l’opération « Amaryllis ») seront peut-être tentés d’invoquer une incertitude quant à la finalité exterminatrice des massacres perpétrés durant les premières semaines, d’autant plus en ce qui concerne les premiers jours des massacres qui virent la barbarie s’abattre non seulement sur la population tutsi mais aussi sur un certain nombre de Hutu modérés. Par-delà cette difficulté, c’est sans nul doute pour des faits commis entre le 7 avril et le 17 juillet 1994 que la qualification de complicité dans le génocide par aide ou assistance semble pouvoir prospérer. Reste maintenant à savoir si une aide ou une assistance aux génocidaires intervenue après le génocide pourrait relever de cette qualification pénale.

b – Aide ou assistance après le génocide


■ 34. La complicité par aide ou assistance ne peut en principe concerner que des actes antérieurs ou concomitants à l’acte principal. La Chambre criminelle considère toutefois que « constitue un acte de complicité par aide ou assistance toute intervention tendant à assurer la fuite de l’auteur principal dès lors que cette protection résulte d’un accord antérieur à l’infraction »[132]. Cette complicité ex post facto pourrait-elle être retenue à l’encontre de Français pour une aide ou une assistance aux génocidaires rwandais ?

35. Dans son rapport, la Commission d’enquête citoyenne sur l’implication de la France dans le génocide des Tutsi constituée en 2004, en se fondant sur divers documents, affirme : « l’opération “Turquoise” protège la retraite des FAR, les laisse emporter leurs armes puis se reconstituer dans les camps du Kivu, chez l’allié Mobutu »[133]. Par ailleurs, selon l’ONG, Human Rights Watch, citée dans ce même rapport, « [des] militaires français ont fait voyager par avion des officiers importants, y compris le colonel Théoneste Bagosora et le leader des miliciens Interahamwe Jean-Baptiste Gatete, ainsi que les troupes d’élite des FAR et des miliciens en dehors de Goma [où ils étaient réfugiés], vers des destinations non identifiées, entre les mois de juillet et septembre 1994 »[134]. D’autres écrits évoquent une exfiltration de membres du GIR par les autorités françaises durant l’opération « Turquoise »[135]. Cette aide apportée, sous une forme ou sous une autre, aux génocidaires, à la supposer avérée – l’accusation d’exfiltration de membres du GIR a été repoussée par la Mission d’information de l’Assemblée nationale[136] –, résultait-elle d’un accord préalable intervenu avant le 17 juillet 1994 entre les autorités françaises et les autorités rwandaises (et, si oui, à quel niveau de responsabilité ?) ? Des complicités ex post facto dans le génocide des Tutsi ne sont punissables qu’à la condition que soit rapportée la preuve de l’existence d’un tel accord entre des Français et des Rwandais auteurs d’atteintes à la vie et/ou d’atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique participant de l’entreprise génocidaire.

36. La figure juridique de la complicité ex post facto n’est pas la seule figure originale de l’incrimination de complicité vers laquelle conduit une réflexion sur la thèse des complicités françaises dans le génocide des Tutsi du Rwanda. Une autre figure juridique originale se détache en effet : celle de la complicité par abstention (ou « complicité morale »[137]).

C. L’hypothèse de complicités par abstention

37. Dans son jugement Le Procureur c/ Jean-Paul Akayesu, le TPIR a affirmé que « la complicité par aide ou assistance suppose que l’aide et l’assistance soient positives, ce qui exclut en principe la complicité par abstention ou par omission »[138]. Toutefois, on le constate, le TPIR n’exige qu’« en principe » une aide ou une assistance positive. Il a eu plusieurs fois l’occasion d’identifier des comportements qui relèvent de la notion de complicité par abstention[139]. Partant, les juridictions pénales françaises ne devraient pas voir dans le jugement Akayesu une incitation à écarter la possibilité d’identifier des comportements de complicité par abstention. Certes, en droit pénal français aussi, comme cela a été précédemment rappelé, le principe est que « la complicité par aide ou assistance ne peut s’induire d’une simple inaction ou abstention, mais […] suppose l’accomplissement d’un acte positif »[140] ; mais la Chambre criminelle admet que « la personne dont c’est précisément la fonction d’empêcher [la commission de certaines infractions] et qui néglige ce devoir peut être condamnée comme complice du fait que son abstention a permis »[141]. L’idée est ici que « l’inaction ou abstention d’où peut s’induire la complicité par aide ou assistance […] consiste à fermer les yeux […] pour lever un obstacle à la consommation de celui-ci »[142]. Cette aide ou assistance par abstention – par « collusion »[143] – doit cependant satisfaire à deux conditions mises en exergue par André Decocq dans une étude synthétisant et analysant la jurisprudence[144] : 1) le pouvoir de s’opposer au crime ou au délit ; 
2) la volonté de laisser commettre le crime ou le délit.

38. Le pouvoir auquel renvoie la première condition est un pouvoir de droit[145], « la simple possibilité de fait [que la personne poursuivie] aurait eu d’empêcher la consommation du crime ou du délit ne [pouvant] transformer son inaction ou son abstention en un acte positif »[146]. En ce qui concerne la situation des militaires français ayant participé, de juin à août 1994, à l’opération « Turquoise », il convient de rappeler que la résolution 929 (1994)[147] sur le fondement de laquelle ils agissaient a été adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations unies, ladite résolution autorisant les soldats français à employer « tous les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs humanitaires énoncés aux alinéas a) et b) du paragraphe 4 de la Résolution 925 (1994) »[148]. L’objectif énoncé au a) de cette dernière résolution était le suivant : « Contribuer à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et des civils en danger au Rwanda, y compris [– et non pas « exclusivement » ! –] par la création et le maintien, là où il sera possible, de zones humanitaires sûres ». Ainsi, contrairement à la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda[149] (MINUAR), les forces militaires françaises présentes sur le sol rwandais fin juin 1994 avaient le « pouvoir de droit »[150] d’user de la force pour protéger les Tutsi menacés de mort (les propos tenus par le général Lafourcade sur la chaîne de télévision TF1 le 26 juin 1994, au journal de 20 heures, allaient clairement en ce sens : « Mon mandat, c’est d’arrêter les massacres, en employant la force si nécessaire contre les trublions [sic] qui ont commis toutes les exactions que vous connaissez »[151]). Il est d’ailleurs permis de considérer qu’ils en avaient non seulement le pouvoir mais aussi le devoir dès lors que tant l’article 223-6, al. 1er, du code pénal français que l’article 256§1 du code pénal rwandais incriminaient au moment de l’opération « Turquoise » le non-obstacle à la commission d’un crime ou d’un délit contre l’intégrité corporelle de la personne (vu sous cet angle, ce devoir n’était donc pas un simple « devoir moral », comme a cru bon de le qualifier, en juillet 1994, le Premier ministre, Edouard Balladur)[152].

39. L’existence d’un pouvoir de droit ne suffit pas, à elle seule, à caractériser la complicité par abstention. Encore faut-il que la personne qui le détient soit en mesure de « prévenir effectivement le crime ou le délit »[153]. Rapportée aux massacres génocidaires de 1994, cette exigence conduit à s’interroger sur la possibilité pour tels soldats français de s’opposer effectivement à la commission de telles atteintes à la vie ou de telles atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique de Tutsi menacés en un lieu et à un moment donnés, compte notamment tenu du nombre de soldats et de celui des agresseurs, de leurs relations avec ces derniers – avaient-ils ou non autorité, au moins morale, sur les agresseurs ? –, de leur armement et autres équipements et de la configuration des lieux. Il ne s’agirait en somme ici que de mettre en œuvre la règle applicable aux délits de non-obstacle à la commission d’un crime ou d’un délit contre l’intégrité corporelle de la personne et de non-assistance à personne en péril selon laquelle l’intervention doit être sans risque pour l’intervenant ou pour des tiers[154]. Il convient cependant de signaler que, dans l’affaire Rutaganira, le TPIR adopte une position différente. Dans cette affaire, pour confondre l’accusé, conseiller communal pour le secteur de Mugaba qui n’avait pas su empêcher certains éléments de la population de participer aux attaques d’une église dans laquelle s’étaient réfugiés des Tutsi, il relève tout d’abord que « toute autorité publique a l’obligation de respecter, comme tout individu, les droits fondamentaux de la personne humaine, mais aussi de les faire respecter, ce qui implique l’obligation d’agir pour en empêcher toute violation »[155]. Selon le TPIR, les risques auxquels se serait exposé l’accusé en portant secours aux Tutsi ne sont rien au regard de son « devoir légal d’humanité »[156]. Évoquant ensuite l’article 256 du code pénal rwandais (équivalent de l’article 223-6 du code pénal français), il affirme que « l’élément tenant au “risque pour soi et pour les tiers” […] à même de justifier l’inaction de tout individu ne peut être retenu pour une exonération totale, compte tenu du caractère particulièrement grave des crimes commis lors des événements de 1994 au Rwanda »[157]. Hervé Ascensio et Rafaëlle Maison se sont interrogés sur le réalisme de cette analyse : « l’invocation du devoir d’humanité ne produit-elle pas un standard de responsabilité pénale assez inhumain…, tant par sa nouveauté que par son caractère très théorique ? »[158] Et les mêmes auteurs de voir dans le raisonnement du TPIR « une forme d’idéalisme internationaliste, assez inadapté à l’analyse d’une situation d’anomie génocidaire »[159]. Pour comprendre cette réserve doctrinale, il importe de préciser que, en l’espèce, l’accusé, avant les massacres perpétrés dans l’église, avait porté secours à des Tutsi et que lors desdits massacres il n’avait nullement eu un comportement de « spectateur-approbateur » – pour reprendre une formule utilisée par le TPIR dans d’autres affaires[160].

40. La seconde condition, particulièrement exigeante, permettant de caractériser un comportement de complicité par abstention consiste dans la volonté de laisser commettre le crime ou le délit. Selon André Decocq, cette volonté est « l’élément fondamental »[161] de la complicité par abstention. C’est par elle que le comportement de celui à qui est reproché une abstention peut être assimilé à un acte positif, « car c’est elle qui scelle l’entente entre l’auteur et le complice »[162]. Cette entente n’est cependant pas nécessairement expresse : elle peut n’être que tacite. Lorsqu’elle est expresse, l’entente prend la forme d’une « promesse de ne pas s’opposer »[163] à la commission du crime ou du délit. Lorsqu’elle est tacite, elle résulte « de la connaissance que [le complice par abstention] a eue de la préparation de l’action principale ou de sa consommation »[164]. Il s’agit alors « d’une entente à mi-mot, d’une entente parfois muette, mais cependant très réelle et aux effets palpables, puisque l’auteur principal sait qu’il peut compter sur le silence approbateur d’un tiers et qu’il a les mains libres »[165]. L’existence d’une entente tacite peut être, dans certaines circonstances, déduite de l’enchaînement des faits[166]. Ainsi, par exemple, ce témoignage, parmi d’autres, publié dans le Rapport Mucyo, relate des faits qui, s’ils étaient avérés, caractériseraient une entente tacite entre des soldats français et un policier communal pendant l’opération « Turquoise » : « Une fille tutsi qui s’appelle Micheline, originaire de Ruhango, a été tuée par un policier communal sur ordre du sous-préfet Ntegeyintwali Joseph à une barrière située près de la sous-préfecture de Karaba. Les Français étaient présents et n’ont pas empêché l’assassinat »[167]. En revanche, dans l’affaire (emblématique) des survivants de Bisesero[168], et quoi que l’on pense, par ailleurs, de leur comportement, il paraît difficile d’affirmer que les officiers mis en cause dans cette affaire[169] ont eu la volonté de laisser se perpétrer les massacres qui, après tant d’autres dans ces collines, se déroulèrent entre le 27 juin 1994, jour de la « découverte » des 2000 survivants, et le 30 juin 1994, jour du sauvetage par l’armée française des 800 derniers Tutsi encore en vie[170]. Compte tenu de l’extrême gravité de l’omission des militaires français, il serait toutefois envisageable de mettre en œuvre, à titre exceptionnel, la théorie du dol éventuel dans sa version originelle[171]. Par ailleurs, la complicité de l’un ou plusieurs des officiers français acteurs de cette affaire pourrait incontestablement être retenue si la preuve de l’existence d’une entente expresse de ceux-ci avec les organisateurs rwandais des meurtres afin de permettre l’achèvement du « travail »[172] d’extermination des Tutsi de Bisesero était rapportée[173].

41. Hors l’existence d’une entente préalable expresse, donc, la présence physique sur les lieux mêmes de commission des actes génocidaires paraît nécessaire pour que soit retenue la complicité par abstention d’atteintes volontaires à la vie ou d’atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique de la personne, composantes du crime de génocide. Cette forme de complicité est consacrée par le TPIR dans sa jurisprudence relative à la responsabilité pénale du « spectateur-approbateur » : dans son jugement Le Procureur c/ Laurent Semanza du 15 mai 2003, le Tribunal international a eu l’occasion d’indiquer que l’« aide » et l’« encouragement » visés à l’article 6§1 du Statut peuvent prendre la forme « d’une simple présence en tant que “spectateur-approbateur” »[174]. Pour le TPIR :

« La responsabilité pénale du “spectateur approbateur” n’est engagée que s’il est effectivement présent sur le lieu du crime ou, tout au moins, à proximité de celui-ci, et que sa présence est interprétée par l’auteur principal du crime comme une approbation de sa conduite. L’autorité dont jouit une personne est souvent considérée comme un indice sérieux permettant aux auteurs principaux du crime de voir en une simple présence une marque de soutien et d’encouragement. Pour autant, cette mise en jeu de la responsabilité n’est pas automatique et la nature de la présence de l’accusé doit être appréciée en fonction des faits de l’espèce »[175].

La référence à « l’autorité dont jouit » la personne ne doit pas induire en erreur : la responsabilité dont s’agit n’est pas en soi celle du supérieur hiérarchique au sens de l’article 6§3 du Statut mais repose, sous l’angle de l’article 6§1 du Statut, sur l’effet d’encouragement de la présence. Elle pourrait être transposée au cas de soldats français qui, de par leur autorité – au moins – morale sur des militaires, gendarmes ou miliciens rwandais directement impliqués dans des massacres de Tutsi, et à condition qu’ils aient eu effectivement le pouvoir de s’opposer à ceux-ci, auraient, par leur présence, encouragé lesdits massacres. Cet effet d’encouragement au moment des faits doit évidemment être prouvé. Ainsi, dans l’affaire Semanza, l’accusé a finalement échappé à une condamnation pour certains des crimes contre l’humanité qui, entres autres crimes, lui étaient reprochés, alors pourtant que, dans son jugement, le TPIR constate que, « après les tueries, l’accusé a tenu les propos ci-après à l’intention des assaillants : “les autres personnes qui n’ont pas été tuées ne pourront pas résister. Allez-les trouver et exterminez-les” »[176]. Cet acquittement partiel s’explique par le fait que « le Procureur n’a produit aucun élément de preuve propre à démontrer que l’influence et la présence de l’accusé sur le lieu des massacres ont eu un effet important sur ces massacres »[177].

42. De prime abord, l’exigence de présence physique sur le lieu de commission d’actes à caractère génocidaire semble réduire à néant certaines accusations de complicité visant des officiers et responsables politiques qui n’étaient pas au Rwanda entre le 7 avril et le 17 juillet 1994. Des officiers et/ou des responsables politiques qui auraient donné l’ordre de ne pas s’opposer à de tels actes pourraient cependant être pénalement inquiétés, un tel comportement pouvant être qualifié de « complicité de complicité »[178] (complicité par provocation de complicité par abstention), dans le respect de l’exigence de causalité.

43. En droit pénal français, aux strictes conditions précédemment présentées, l’aide ou l’assistance par abstention est donc susceptible de caractériser la complicité dans le génocide.

Conclusion

44. Au terme de cette étude, il apparaît que la thèse des complicités françaises n’est pas juridiquement incongrue. N’étant pas, par ailleurs, factuellement invraisemblable, elle pourrait trouver, un jour, une traduction judiciaire.

45. Pour entrer en voie de condamnation, les juridictions criminelles devront disposer de preuves attestant de la culpabilité des personnes poursuivies au-delà de tout doute raisonnable. Or, l’éloignement géographique et, dans une moindre mesure, l’écoulement du temps constituent de redoutables obstacles à la bonne administration de la justice dans les affaires qui mettent ou mettront en cause des Français suspectés de complicité dans le génocide de 1994 (il est d’ailleurs probable que dans un certain nombre de cas les suspects ne pourront pas être identifiés). Malgré ces obstacles, il importe et il importera que les autorités policières et judiciaires puissent mener une « enquête effective » au sens où l’entend la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « CEDH »), l’article 2 de la Conv. EDH imposant aux États parties l’obligation procédurale de mener une telle enquête en cas de violation du droit de toute personne à la vie[179] – obligation sans aucun doute particulièrement pesante lorsque les atteintes à la vie prennent la forme du crime de génocide : dans un arrêt de Grande Chambre Marguš c/ Croatie du 27 mai 2014, la Cour de Strasbourg a ainsi évoqué « l’obligation universellement reconnue […] de poursuivre et de punir les auteurs de violations graves des droits fondamentaux de l’homme ». Pour exécuter pleinement cette obligation, l’État français devra déclassifier un certain nombre de documents encore classés « secret défense », la CEDH n’admettant qu’un tel secret soit opposé par une instance judiciaire indépendante à des enquêteurs dans le cadre d’une procédure pénale que « pour des raisons de sûreté nationale [et] dans des circonstances exceptionnelles »[180].

46. Par-delà ces difficultés, le principal écueil à la poursuite en France d’éventuels complices français du génocide des Tutsi est vraisemblablement d’ordre politique : très majoritairement, les autorités nationales, arc-boutées sur une conception archaïque de l’« honneur de la France », refusent d’envisager la possibilité même que des Français aient pu être, d’une façon ou d’une autre, complices du génocide des Tutsi. En l’état actuel du statut du ministère public[181], il est peu de chances de voir demain, dans ces affaires, un représentant du parquet exercer « l’action publique pour l’application des peines »[182] – « soutenir l’accusation » – à l’encontre de Français poursuivis pour complicité de génocide (de ce point de vue, l’historique des « plaintes Turquoise » est d’ores et déjà édifiant…). Si l’action publique a pu être justement définie, en doctrine, comme « le pouvoir de s’adresser à une juridiction répressive pour qu’elle décide de la présomption d’innocence dont bénéficie la personne poursuivie »[183], il est difficilement concevable que dans ces affaires, comme on peut le craindre, le ministère public rejoigne le plus souvent – voire systématiquement – l’équipe des avocats de la défense, créant par là-même une étrange inégalité au bénéfice du mis en examen ou, en aval, pour les affaires qui devraient, en principe, arriver à l’audience dans un « délai raisonnable »[184], de l’accusé. Si cette crainte devait être confirmée, les victimes parties civiles, en situation de « net désavantage »[185], pourraient alors se tourner vers la Cour de Strasbourg pour faire constater, sur le terrain de l’article 6§1 de la Conv. EDH, une violation du principe d’égalité des armes. Pour en arriver là, encore faut-il toutefois que les victimes puissent, pour pallier l’inertie du ministère public, se constituer partie civile par la voie de l’action.

47. Or, l’écueil tenant au très probable manque de volonté répressive du parquet dans ces affaires franco-rwandaises est d’autant plus important que, pour les militaires suspectés de complicité, il est susceptible de se manifester spectaculairement ab initio puisque, depuis la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013[186], le second alinéa de l’article 698-2 du code de procédure pénale, auquel renvoie l’article L. 211-11 du code de justice militaire, dispose que « l’action publique ne peut être mise en mouvement que par le procureur de la République lorsqu’il s’agit de faits commis dans l’accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d’une opération mobilisant des capacités militaires, se déroulant à l’extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises, quels que soient son objet, sa durée ou son ampleur, y compris la libération d’otages, l’évacuation de ressortissants ou la police en haute mer »[187]. Cette interdiction légale du droit de se constituer partie civile n’est cependant pas conforme au droit européen des droits de l’homme, la CEDH, dans son arrêt de Grande Chambre Perez c/ France du 12 février 2004, ayant eu l’occasion d’indiquer qu’« une plainte avec constitution de partie civile rentre dans le champ d’application de l’article 6§1 de la Convention »[188], et cela après avoir relevé que, « dans sa Recommandation Rec(2000)19 sur le rôle du ministère public dans le système de justice pénale adoptée le 6 octobre 2000, le Comité des Ministres estime que les victimes doivent avoir la possibilité de contester la décision prise par le ministère public de ne pas engager de poursuites, notamment en les autorisant à les mettre en œuvre elles-mêmes »[189] (sa seule réserve concernant « l’action civile à des fins purement répressives »[190], c’est-à-dire celle à l’occasion de laquelle la victime ne demande même pas « l’obtention d’une réparation symbolique »[191]). L’article 698-2, al. 2, du code de procédure pénale est donc manifestement incompatible avec le droit pour la victime d’accéder au juge pénal, composante de son droit à un procès pénal équitable[192] (cette opinion est confortée par la Chambre criminelle qui, dans un arrêt du 19 juin 2001, se prononçant sur l’art. 698-2 C. pr. pén. dans sa rédaction issue de la loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992[193], s’inspirant, avant même l’arrêt Perez, de la jurisprudence européenne[194], avait estimé que l’impossibilité pour la victime d’un militaire de se constituer partie civile par la voie de l’action, pourtant hors les cas, alors, de décès, de mutilation ou d’infirmité permanente, était contraire à l’article 6§1 de la Conv. EDH)[195]. Dès lors que, selon l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, « les États adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation »[196], l’article 698-2, al. 2, du code de procédure pénale devra être neutralisé (ignoré) par les juridictions d’instruction qui auront à connaître de plaintes avec constitution de partie civile dirigées contre des militaires français suspectés de complicité dans le génocide des Tutsi[197].

48. Obligation de mener des enquêtes effectives ; obligation de déclassifier les documents encore couverts par le « secret défense » ; droit pour les victimes d’accéder au juge pénal en se constituant partie civile par la voie de l’action ; respect du principe de l’égalité des armes ; droit pour les victimes parties civiles de voir leur cause entendue dans un délai raisonnable : le droit européen des droits de l’homme, on le voit, pourrait être utilement mobilisé pour faire prévaloir une conception de l’« honneur de la France » autre que celle invoquée par un certain nombre de protagonistes français des tragiques événements survenus au Rwanda en 1994, et relayée par la plupart des actuels responsables politiques.


[1] Cet article a d’abord été publié dans la Revue de sciences criminelle et de droit pénal comparé, Dalloz, janvier-mars 2015, pp. 1 et s.. Il est reproduit ici avec l’autorisation des Éditions Dalloz, communiqué par l’auteur qui tient par ailleurs à remercier Mmes Rafaëlle Maison et Claire Saas pour leur lecture et leurs observations.

[2] Le 14 mars 2014, la Cour d’assises de Paris a condamné Pascal Simbikangwa à 25 ans de réclusion criminelle pour génocide et complicité de crime contre l’humanité (le condamné a interjeté appel).

[3] En réalité, l’Armée patriotique rwandaise (APR), branche militaire du FPR auquel, par souci de simplification, nous nous référerons exclusivement dans les développements qui suivront.

[4] Sur ce point, v. infra, n° 22. Par ailleurs, outre les très graves accusations contenues, par ex., dans le rapport de la Commission indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l’implication de l’État français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 – souvent dit « rapport Mucyo », du nom de son président – (v. not. p. 252 à 261), il convient de rappeler que, en juin 2004, trois Rwandaises ont déposé des plaintes contre X pour des viols commis pendant l’Opération « Turquoise » par des soldats français, lesquelles ont donné lieu à l’ouverture d’une information judiciaire pour crime contre l’humanité. Or, il n’est pas exclu que de tels viols soient considérés comme composantes du crime de génocide, étant rappelé que l’art. 211-1 C. pén. vise l’« atteinte grave à l’intégrité physique ou psychique » parmi les actes possiblement constitutifs d’un génocide et que le TPIR considère que cette formule, qui figure à l’art. 2§2-b de son Statut, englobe les viols et autres violences sexuelles (en ce sens, v. TPIR, 2 sept. 1998, aff. n° ICTR-96-4-T, Le Procureur c/ Jean-Paul Akayesu, § 504). Quoi qu’il en soit, s’il était un jour avéré que des Français ont participé au génocide des Tutsi en qualité de coauteurs, la question de la responsabilité de leurs supérieurs hiérarchiques devrait être posée sous l’angle d’une complicité par abstention (v. infra, nos 37 à 43), l’art. 213-4-1 C. pén. issu de la loi n° 2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale ne pouvant leur être rétroactivement appliqué.

[5] Dictionnaire historique de la langue française, Robert.

[6] Ibid.

[7] V., par ex., F.-X. Verschave, Complicité de génocide ? – La politique de la France au Rwanda, La Découverte, 1994 ; 
Association Survie, La complicité de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, L’Harmattan, 2009.

[8] V., par ex., P. de Saint-Exupéry, Complices de l’Inavouable – La France au Rwanda, Éditions des Arènes, 2009, passim ; F. Graner, Le sabre et la machette – Officiers français et génocide, Tribord, 2014, p. 7.

[9] C’est ainsi, par ex., que Patrick de Saint Exupéry, dans un texte récemment paru à la revue Cités, évoquant ses démêlées judiciaires avec des officiers de l’armée française, se défend d’avoir voulu, dans Complices de l’Inavouable, accuser lesdits officiers « d’avoir participé eux-mêmes au génocide[,] l’objet de l’Inavouable, explicité dès la quatrième de couverture, n’[étant] autre que “la politique secrète menée au Rwanda de 1990 et 1994 […] » (Cités, n° 57/2014, p. 118-119). Or, cet auteur, au cours d’un débat organisé par le site Médiapart le 24 avril 2014, souligne l’intérêt qu’il y aurait, selon lui, à explorer la voie judiciaire, ce qui place nécessairement le débat sur le terrain juridique, en général, et sur celui de la complicité au sens pénal du terme, en particulier. En ce sens, il convient d’ailleurs de signaler que parmi les extraits de critiques reproduits en quatrième de couverture de l’ouvrage figure cette phrase de la journaliste belge Colette Braeckman : « si Patrick de Saint Exupéry est écouté, certains responsables français au plus haut niveau pourraient un jour se voir accuser de complicité de génocide » (souligné par nous).

[10] V. not. G. de La Pradelle, Imprescriptible. L’implication de la France dans le génocide tutsi portée devant les tribunaux, Les Arènes, 2005.

[11] V. l’art. 1er § 1er du Statut du mécanisme international chargé d’exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux, qui renvoie, entre autres articles, à l’art. 5 du Statut du TPIR, lequel précise que celui-ci « a compétence à l’égard des personnes physiques ».

[12] L’art. 121-1, al. 1er C. pén. dispose que « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des art. 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». De ce texte, il découle que les sociétés françaises qui auraient livré des armes aux autorités rwandaises durant le génocide pourraient voir, quant à elles, leur responsabilité pénale engagée.

[13] P. 331 (souligné par nous).

[14] Par-delà les « erreurs d’appréciation » de la France reconnues par la Mission d’information de la commission de 
la défense nationale et des forces armées et de la commission des affaires étrangères sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994 (v. Rapport enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 déc. 1998, t. 1, p. 355).

[15] Sur la question du possible recours des autorités militaires françaises à des mercenaires, v. par F. Graner, op. cit., p. 161 à 163. Sur l’implication réelle ou supposée de Paul Barril dans le génocide de 1994, v. not. B. Collombat et D. Servenay, « Au nom de la France » – Guerres secrètes au Rwanda, La Découverte, 2014, p. 47 à 63 et p. 179 à 197.

[16] Pour une analyse comparatiste de la complicité de génocide en droit de la CPI et en droit français, v. M. Jacquelin, L’incrimination de génocide – Étude comparée du droit de la Cour pénale internationale et du droit français, Fondation Varenne, 2012, nos 578 à 636.

[17] V. l’art. 1er du Statut du TPIR auquel renvoie, entre autres articles, l’art. 1er § 1 du Statut du Mécanisme international.

[18] V. l’art. 1er §2 du Statut du Mécanisme international ; v. aussi les art. 1er §3 et 6§1 du Statut.

[19] En ce sens, v., par ex., J.-F. Dupaquier, L’agenda du génocide – Le témoignage de Richard Mugenzi ex-espion rwandais, Karthala, 2010, p. 231.

[20] Le 16 févr. 2005, six plaintes avec constitution de partie civile visant des actes commis par des militaires français 
durant l’Opération « Turquoise » ont été déposées devant le doyen des juges d’instruction du Tribunal aux armées par des victimes tutsi pour « complicité de génocide et complicité de crime contre l’humanité » (ces plaintes sont actuellement en cours d’instruction au pôle spécialisé en matière militaire du TGI de Paris). En juin 2013, trois ONG ont porté plainte contre l’ex-officier de gendarmerie Paul Barril pour complicité de génocide, plaintes qui ont donné lieu, le même mois, à l’ouverture d’une information judiciaire contre X…

[21] V. déjà G. de La Pradelle, op. cit., passim.

[22] P. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, 7e éd., A. Colin, 2004, n° 409.

[23] E. Dreyer, Droit pénal général, 3e éd., LexisNexis, 2014, n° 1871.

[24] A. Huet et R. Kœring-Joulin, Droit pénal international, 3e éd. PUF, 2005, p. 238 (souligné par nous).

[25] Les miliciens Interahamwe comptaient dans leurs rangs des Hutu du Burundi qui avaient fui leur armée nationale dominée par les Tutsi ; en ce sens, v. Human Rights Watch – Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, Aucun témoin ne doit survivre – Le génocide au Rwanda, Kartala, 1999 (rédigé par Alison Des 
Forges), p. 17.

[26] En ce sens, v. A. Fournier, « Compétence pénale », Répertoire de droit international, Dalloz, n° 59.

[27] Loi portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 827 du Conseil de sécurité des 
Nations unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables de vio
lations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991.

[28] Loi portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis en 1994 sur le territoire du 
Rwanda et, s’agissant des citoyens rwandais, sur le territoire d’États voisins.

[29] Crim., 3 mai 1995, Bull. crim. n° 161 et Crim., 23 oct. 2002, n° 02-85.379, Bull. crim. n° 195; D. 2004. 309, et les 
obs., obs. M.-H. Gozzi ; Rev. crit. DIP 2003. 309, note H. Matsopoulou ; RSC 2003. 425, obs. M. Massé.

[30] Selon Henri Donnedieu de Vabres, il remonterait aux « premières années du XIXe siècle » (Les principes modernes du droit pénal international, Librairie du Recueil Sirey, 1928, p. 171 à 219).

[31] V. not. H. Donnedieu de Vabres, op. cit., p. 171 s. ; C. Lombois, Droit pénal international, 2e éd., Dalloz, 1979, 
p. 19 et p. 283 et 284 ; A. Huet et R. Kœring-Joulin, op. cit., nos 117 à 125.

[32] La place faite par l’art. 7§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés 
fondamentales (v. aussi l’art. 15§1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) à la légalité criminelle internationale pourrait cependant conduire un jour la Chambre criminelle à abandonner le dogme de la solidarité des compétences législative et judiciaire et à admettre le principe de l’applicabilité de normes internationales de comportement (dans des hypothèses à identifier).

[33] Crim., 6 janv. 1998, Bull. crim. n° 2.

[34] Puisque ladite circulaire justifie cette formulation par le fait que « les conventions internationales […] ne prévo[ient] 
pas de peine » (ce qui est d’ailleurs faux s’agissant du Statut du TPIR, dont l’art. 23 est consacré aux peines).

[35] Crim., 20 févr. 1990, Bull. crim. n° 84 (à propos de l’anc. art. 690 C. pr. pén., auquel s’est substitué, le 1er mars 1994, l’art. 113-5 C. pén.).

[36] V. l’art. 1er de la loi du 22 mai 1996.

[37] C’est d’ailleurs en application du code pénal français et non du Statut du TPIR que Pascal Simbikangwa a été 
condamné le 14 mars 2014 par la cour d’assises de Paris pour génocide et complicité de crime contre l’humanité.

[38] Sur la question, v. O. Cahn, Le jugement par délégation d’une juridiction pénale internationale, RSC 2008. 273.

[39] Sur la question, v. infra, n° 16.

[40] V. TPIR, 2 oct. 1998, ICTR-96-4, Le Procureur c/ Jean-Paul Akayesu, § 537.

[41] En ce sens, v. not. R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel – t. 1 – Problèmes généraux de la science criminelle – Droit pénal général, 7e éd., Cujas, 1997, nos 550 et 551.

[42] TPIR, 15 mai 2003, ICTR-97-20-T, Le Procureur c/ Laurent Semanza, § 394.

[43] Sur cet objectif d’harmonisation, v. G. Giudicelli-Delage, Poursuivre et juger selon les « intérêts de la justice ». 
Complémentarité et/ou primauté ?, RSC 2007. 479.

[44] V. not. TPIR, 30 sept. 2011, ICTR-99-50-T, Le Procureur c/ Casimir Bizimungu, Justin Mugenzi, Jérôme-Clément Bicamumpaka et Prosper Mugiraneza (aff. dite « Gouvernement II »), § 1947 et 1959.

[45] Cette date du 6 avr. est parfois considérée comme marquant le point de départ du génocide.

[46] La date du 4 juill., qui correspond à la prise de Kigali par ces mêmes troupes, est parfois retenue.

[47] Le butoir du 1er janv. 1994 a vraisemblablement soulagé un certain nombre de militaires qui craignaient d’être 
poursuivis devant le TPIR pour crimes contre l’humanité et/ou violations de l’art. 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole additionnel II (en ce sens, v. E. Cattier, Les révélations circonscrites d’un rapport parlementaire, Cités, n° 57/2014, p. 29-30).

[48] V. l’art. 2 de la loi du 22 mai 1996 renvoyant à l’art. 2 la loi du 2 janv. 1995.

[49] En ce sens, v. la combinaison des art. 1er et 2 de la loi du 22 mai 1996 et de l’art. 2, al. 1er, de la loi du 2 janv. 1995.

[50] S’agissant d’actes de complicité éventuellement commis durant cette période, il convient de rappeler que, après plus de trois ans de présence, les troupes françaises de l’opération « Noroît » (environ 600 militaires) quittèrent le Rwanda en déc. 1993. Une vingtaine de coopérants militaires restèrent cependant sur le territoire rwandais, dont un lieutenant-colonel, conseiller du chef d’état-major rwandais, et sans doute, aussi, quelques mercenaires.

[51] En faveur du respect du principe de non-rétroactivité, v. M. Massé, RSC 1998. 837.

[52] Dans le même sens, v. l’art. 15 § 1 du Pacte international des droits civils et politiques.

[53] V., J.-F. Dupaquier, op. cit., p. 181 à 206.

[54] Mouvement Républicain National pour la Démocratie et le Développement, parti longtemps unique, connu sous 
le nom de Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, présidé par Juvénal Habyarimana.

[55] Sur ce discours, qui sera répété dans les jours qui suivent dans d’autres communes, v. not. G. Prunier, Rwanda : le génocide, Dagorno, 1997, p. 209-210 ; Human Rights Watch – Fédération internationale des ligues des droits de 
l’homme, op. cit., p. 103 à 106.

[56] En ce sens, v. TPIR, 28 nov. 2007, ICTR-99-52-A, Le Procureur c/ Ferninand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza, Hassan Ngeze, § 317.

[57] En ce sens, v., mutatis mutandis, M. Massé, L’évolution de la notion de crimes contre l’humanité, in Barbie, Tou- vier, Papon – Des procès pour la mémoire, éd. Autrement, 2002, p. 135.

[58] Crim., 26 févr. 2014 (2 arrêts), Bull. crim. nos 59 et 60.

[59] Sur ce point, v., par ex., S. Fournier, Complicité, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, 2013, 
nos 54 à 57.

[60] Sur de tels actes, v., par ex., le témoignage de Jean Carbonare, membre de la Commission internationale d’en
quête de 1993, dans le Nouvel Observateur daté du 4 août 1993 (« […] j’ai vu des instructeurs français dans le camp militaire de Bigogwe […]. C’est là qu’on amenait des civils par camions entiers. Ils étaient torturés et tués, puis enterrés dans une fosse commune que nous avons identifiée près du cimetière de Gisenyi ».

[61] En ce sens, v., TPIR, 3 déc. 2003, ICTR-99-52, Le Procureur c/ Ferninand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza, Has- san Ngeze, § 103.

[62] V. supra, nos 5 à 10.

[63] Sur ce point, v. infra, nos 34 à 36.

[64] Sur la question v. Cités, n° 57/2014, Génocide des Tuti du Rwanda : un négationnisme d’État ?, passim ; J. Chatain, 
Le négationnisme, une constante française, Les Temps Modernes, oct.-déc. 2014, nos 680-681, p. 189 à 204.

[65] Entre autres ouvrages en langue française, v. not. G. Prunier, op. cit. et Human Rights Watch – Fédération inter- nationale des ligues des droits de l’homme, op. cit. ; entre autres rapports, v. R. Degni-Segui, 1er rapport du 28 juin 
1994, ONU A/49/508.S/1994/1157. Commission des Droits de l’homme de l’ONU. E/CN.4/1995/7.

[66] TPIR, Le Procureur c/ Jean-Paul Akayesu, préc., § 112 à 128.

[67] TPIR, 16 juin 2006, aff. n° ICTR-98-44-AR73(C), Le Procureur c/ Édouard Karemera, Mathieu Ngirumpatse, Joseph Nzirorera, § 35.

[68] V. Malabat, Droit pénal spécial, 6e éd. Dalloz, 2013, n° 18.

[69] Pour une approbation de cette exigence française, v. cep. M. Jacquelin, op. cit., nos 273 à 306.

[70] TPIR, 21 mai 1999, aff. n° ICTR–95 –1–T, Le Procureur c/ Clément Kayishema et Obed Ruzindana, § 291 (v. aussi le § 289). Sur ce « plan concerté », entre autres nombreux écrits, v. not. Sénat de Belgique, Rapport de la Commission d’enquête parlementaire concernant les événements du Rwanda, 6 déc. 1997, 1-611/7, p. 476 à 492 ; J. Sémelin, Purifier et détruire – Usages politiques des massacres et génocides, Seuil, 2005, p. 208 à 212 (v. aussi supra, n° 13) ; v. aussi, supra, n° 13.

[71] H. Dumas, Le génocide au village – Le massacre des Tutsi du Rwanda, Seuil, 2014, p. 273.

[72] Il convient cependant de signaler que l’existence de ce plan a été reconnue sans ambages, en mars 2014, par la 
cour d’assises de Paris dans l’aff. Simbikangwa.

[73] Les autres types d’actes énumérés à l’art. 211-1 C. pén. n’étant pas a priori en cause.

[74] Ce qui ressort très clairement de la lettre de l’art. 121-7 C. pén., dont le premier aliéna vise « la personne qui 
sciemment, par aide ou assistance » a facilité la préparation ou la consommation d’un crime ou d’un délit, et dont le second alinéa a trait à la complicité par provocation et à la complicité par fourniture d’instructions, formes de complicité qui, par hypothèse, ne peuvent être que volontaires (sur l’élément moral de la complicité, v., par ex., P. Conte et P. Maistre du Chambon, op. cit., n° 420 ; S. Fournier, étude préc., n° 114 ; P. Salvage, Complicité, J.-Cl. Pénal code, art. 121-6 et 121-7, Fasc. 20, 2005, n° 89).

[75] V., par ex., M. Massé, Les crimes contre l’humanité dans le nouveau code pénal français, RSC 1994. 378 ; V. Malabat, Droit pénal spécial, 6e éd., Dalloz, 2013, n° 19.

[76] Bull. crim. n° 23.

[77] TPIR, Le Procureur c/ Jean-Paul Akayesu, préc., § 540; dans le même sens, v. not. TPIR, 15 juill. 2004, aff. 
n° ICTR–2001 –71–T, Le Procureur c/ Emmanuel Ndindabahizi, § 457 in fine.

[78] En ce sens, v. TPIR, Le Procureur c/ Laurent Semanza, préc., § 394 in fine.

[79] TPIR, 14 mars 2005, aff. ICTR-95-1C-T, Le Procureur c/ Vincent Rutaganira, § 92.

[80] Sur le racisme anti-Tutsi, v. not. J.-P. Chrétien et M. Kabanda, Rwanda – Racisme et génocide, Belin, 2013, passim. 
Pour une illustration de l’« anti-tusisme » de certains officiers français, v. E. Smith, Les derniers défenseurs de l’Em
pire : quand l’armée française raconte ses Rwanda, Les Temps Modernes, oct.-déc. 2014, nos 680-681, p. 69 à 73.

[81] 27 déc. 1960, Bull. crim. n° 624 ; dans le mêmes sens, v., déjà, Crim., 21 oct. 1948, Bull. crim. n° 242.

[82] En ce sens impl., v. J. Morel, La France, principale commanditaire du génocide des Tutsi, juin 2011, jacques.morel67.free.fr/CommanditaireGenocide.pdf.

[83] Rapport préc., p. 182 (souligné par nous).

[84] En ce sens, v. aussi les art. 6 et 25§3-b du Statut de la Cour pénale internationale.

[85] R. Merle et A. Vitu, op. cit., n° 552.

[86] En ce sens, v., par ex., Crim., 1er sept. 1987, Bull. crim. n° 508 ; Crim., 30 mai 1989, Bull. crim. n° 222 ; Crim., 
15 déc. 2004, Bull. crim. n° 322.

[87] Sur l’hypothèse de complicités par abstention, v. infra, nos 37 à 43.

[88] Comp. art. 213-4-1 C. pén. (non applicable), plus restrictif en ce qu’il vise uniquement le rapport supérieur hiérarchique/auteur de l’infraction.

[89] J.-H. Robert, Droit pénal général, 6e éd., PUF, p. 346.

[90] Ibid.

[91] En ce sens, v., par ex., Crim., 30 mai 1989, Bull. crim. n° 222.

[92] Outre le très prudent Rapport de la Mission d’information de la commission de la défense nationale et des forces 
armées et de la commission des affaires étrangères sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au Rwanda entre 1990 et 1994 enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 déc. 1998, v. le Rapport Mucyo, passim ; v. aussi, not., L. Coret et F.-X. Verschave (dir.), L’horreur qui nous prend au visage – L’État français et le génocide rwandais, Rapport de la Commission d’enquête citoyenne, Karthala, 2005, passim ; J. Morel, La France au cœur du génocide des Tutsi, L’esprit frappeur, 2010, passim.

[93] V. p. 137.

[94] V. p. 147.

[95] V. p. 156.

[96] V. p. 155.

[97] Ibid.

[98] V. p. 167.

[99] V. p. 176.

[100] V. p. 178.

[101] Sur ce point, v., par ex., J. Morel, op. cit., p. 635 à 642.

[102] Op. cit., p. 58-59.

[103] Ibid., p. 59.

[104] V., par ex., ibid., p. 461 à 463 ; v. aussi, C. Braeckman, Rwanda – L’histoire d’un génocide, Fayard, 1994, p. 188 à 197.

[105] Sur la restitution de la chronologie du coup d’État par le TPIR, v. R. Maison, Coup d’État et génocide : l’affaire

Bagosora, Les Temps Modernes, oct.-déc. 2014, nos 680-681, p. 217 à 223.

[106] C. pén., art. 421-1.

[107] Sur la notion d’Humanité en droit, v. not. M. Delmas-Marty, Les forces imaginantes du droit – Le relatif et l’universel, Seuil, 2004, p. 74 à 96.

[108] V. J. Morel, op. cit., p. 787 à 824 ; v. aussi, L. Coret et F.-X. Verschave, op. cit., p. 115 à 133.

[109] Rapport préc., p. 181.

[110] P. 183.

[111] Sur le coup d’État, le rôle de l’ambassade de France et la reconnaissance par la France du Gouvernement intérimaire et génocidaire, v. J. Morel, op. cit., p. 501 à 545.

[112] V. supra, nos 12 et 13.

[113] P. Salvage, Le lien de causalité en matière de complicité, RSC 1981. 26.

[114] Ibid., p. 37.

[115] V. Rapport Mucyo, préc., p. 181.

[116] R. Maison, Que disent les « Archives de l’Élysée » ?, Esprit, mai 2010, p. 143.

[117] J.-F. Dupaquier, Propagande noire et désinformation au cœur de l’engagement militaire français, Cités, n° 57/2014, 
p. 44.

[118] Cette formulation fait référence à l’incident diplomatique qui, en 1898, opposa la France au Royaume-Uni dans 
le poste militaire avancé de Fachoda au Soudan.

[119] Outre les précédentes références, v., par ex., F.-X. Verschave, op. cit., p. 62 à 65.

[120] V. R. Maison, étude préc., p. 143-144.

[121] En ce qui concerne les simples civils, dont on sait qu’ils ont, eux aussi, participé au génocide, l’hypothèse d’une 
aide ou d’une assistance directe de militaires ou civils français paraît peu vraisemblable.

[122] Sur cette hypothèse, v. impl., J. Morel, op. cit., p. 180 ; v. aussi L. Coret et F.-X. Verschave, op. cit. p. 441 et 462.

[123] Sur cette seconde hypothèse, v. ibid., p. 56.

[124] Y. Mayaud, Droit pénal général, 4e éd., PUF, 2013, n° 241 (souligné par nous).

[125] J. Morel, ibid., p. 166.

[126] V., par ex., J. Morel, op. cit., p. 165 à 215.

[127] E. Cattier, Les révélations circonscrites d’un rapport parlementaire, Cités, n° 57/2014, p. 26.

[128] H. Dumas, op. cit., p. 93.

[129] Ibid.

[130] Ibid.

[131] V. J. Morel, op. cit., p. 672 à 679 ; pour le témoignage d’un observateur étranger présent sur le terrain, v. not. R. Dallaire, J’ai serré la main du diable, Libre Expression, 2003, p. 339 à 414.

[132] Crim., 11 juill. 1994, Bull. crim. n° 274 ; pour d’autres arrêts consacrant la possibilité d’actes de complicité ex post facto résultant d’un accord antérieur, v., par ex., Crim. 1er déc. 1998, n° 97-84.773, inédit et Crim., 4 mai 2000, Bull. crim. n° 178.

[133] L. Coret et F.-X. Verschave, op. cit., p. 77 ; dans le même sens, v., par ex., J. Morel, op. cit., p. 932.

[134] Ibid., p. 79.

[135] En ce sens, v., par ex., J. Morel, op. cit., p. 1009 à 1011.

[136] V. Rapport préc., p. 339 à 345.

[137] R. Merle et A. Vitu, op. cit., n° 551.

[138] TPIR, Le Procureur c/ Jean-Paul Akayesu, préc., § 536 ; dans le mêmes sens, v. TPIR, 27 janv. 2000, aff. ICTR-96-13, 
Musema c/ Le Procureur, § 178.

[139] V., par ex., TPIR, 21 mai 1999, ICTR-95-1-T15, Clément Kayishema et Obed Ruzindana, § 200 ; TPIR, 21 févr. 2003, 
aff. ICTR-96-10-T et ICTR-96-17-T, Le Procureur c/ Elizaphan Ntakirutimana et Gérard Ntakirutimana, § 788 et 789 ; TPIR, Le Procureur c/ Laurent Semanza, préc., § 384 à 389 ; TPIR, 15 juill. 2004, ICTR-2001-71-T, Le Procureur c/ Emmanuel Ndindabahizi, § 457.

[140] V. Crim., 21 oct. 1948 et Crim., 27 déc. 1960, préc.

[141] J.-H. Robert, op. cit., p. 347 (v. les illustrations jurisprudentielles citées par l’auteur).

[142] A. Decocq, Inaction, abstention et complicité par aide ou assistance, JCP 1983, I. 3124, n° 2.

[143] Ibid., n° 2.

[144] A. Decocq, étude préc.

[145] V. ibid. nos 6 à 11.

[146] Ibid., n° 7.

[147] Sur les ambiguïtés de cette résolution, et sur le contexte de son adoption, v. not. R. Maison, « L’opération « Turquoise », une mise en œuvre de la responsabilité de protéger ? », in La responsabilité de protéger, Actes du col- loque de Nanterre, 7-9 juin 2007, Pédone, 2008, p. 209 à 231.

[148] Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution 929 (1994), § 3.

[149] V. Résolution 872 (1993) 5 oct. 1993 et Résolution 912 (1994) du 21 avril 1994.

[150] A. Decocq, étude préc., n° 6.

[151] Cités par Frédéric Debomy, in Le génocide des Tutsi et la télévision française, Les Temps Modernes, oct.-déc. 2014, 
nos 680-681, p. 150 (souligné par nous). En réalité, il semble que, dans un premier temps tout au moins, le but de l’opération « Turquoise » était, par le truchement de la création de « zones humanitaires sûres », d’empêcher le FPR de prendre le contrôle de la totalité du territoire rwandais.

[152] Déclaration de M. Edouard Balladur, Premier ministre, sur l’engagement de la France au Rwanda dans le cadre de l’opération humanitaire « Turquoise », New York, 11 juill. 1994 (http://discours.vie-publique.fr/notices/ 943195800.html).

[153] V. A. Decocq, étude préc., n° 12 (souligné par nous).

[154] V. C. pén., art. 223-6.

[155] TPIR, Le Procureur c/ Vincent Rutaganira, préc., § 79.

[156] § 80.

[157] § 81.

[158] H. Ascensio et R. Maison, AFDI, Vol. 51, 2005, p. 265.

[159] Ibid.

[160] V. infra, n° 41.

[161] Ibid., n° 13.

[162] Ibid.


[163] Ibid., n° 14.

[164] Ibid., n° 16.

[165] A. Vitu, obs. ss Crim., 19 déc. 1989, n° 89-85.743, RSC 1990. 776.

[166] V. les illustrations jurisprudentielles données par André Decocq, étude préc., nos 17 à 19.

[167] Rapport préc., p. 244 (souligné par nous) ; pour un autre exemple du même type, v. p. 183-184.

[168] Sur cet épisode douloureux de l’opération « Turquoise », v. not. Rapport Mucyo, p. 206 à 229 ; Rapport de la Mission d’information de l’Assemblée nationale, p. 49 ; P. de Saint Exupéry, op. cit., p. 78 à 118 ; J. Morel, op. cit., 1037 à 1142 ; L. Coret et F.-X. Verschave, op. cit., p. 420 à 436 ; F. Graner, op. cit., p. 111 à 120.

[169] Le lieutenant-colonel Duval, le capitaine de Frégate Gillier et le général Lafourcade.

[170] Avant la prescription de l’action publique, ils auraient toutefois pu être poursuivis pour non-obstacle à la commission d’un crime ou d’un délit contre l’intégrité de la personne de l’art. 223-6, al. 1er, C. pén., dont l’élément moral consiste dans « la connaissance de l’infraction projetée et celle de la conscience qu’une intervention efficace est possible » (P. Bonfils, Entrave aux mesures d’assistance et omission de porter secours, J.-Cl. Pénal code, 
Art. 223-5 à 223-7-1, Fasc. 20, 2007, n° 39).

[171] V. déjà, supra, n° 31.

[172] Terme couramment utilisé par les auteurs du génocide pour qualifier leur activité meurtrière.

[173] Sur cette hypothèse, v. J. Morel, Le massacre de Bisesero en présence des Français, Les Temps Modernes, oct.-déc. 
2014, nos 680-681, p. 133 (et la note 97).

[174] TPIR, Le Procureur c/ Laurent Semanza, préc., § 385 (et la jurisprudence citée en note de bas de page).

[175] Ibid., § 386 (et la jurisprudence citée en note de bas de page).

[176] § 458.

[177] § 457.

[178] En ce sens, v. supra, n° 23.

[179] En ce sens, v. not. CEDH, gr. ch., 9 avr. 2009, Silih c/ Slovénie, § 154.

[180] CEDH, 24 mai 2011, Association « 21 déc. 1989 » et a. c/ Roumanie, § 139 (la loi n° 98-567 du 8 juill. 1998 instituant une Commission consultative du secret de la défense nationale ne satisfait vraisemblablement pas aux exigences européennes). Sur cette question, il convient de mentionner le b) du Principe n° 10 du Projet de principes sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires (Rapport présenté par Emmanuel Decaux suite à la Résolution 2005/15 de la Sous-Commission des droits de l’homme, Doc. E/CN.4/2006/58, 13 janv. 2006), consacré à la « Limitation des effets du secret-défense », selon lequel, « le secret-défense ne peut pas être invoqué […] pour empêcher d’engager ou de mener des enquêtes, des poursuites ou des procès, qu’ils soient de nature pénale ou disciplinaire, ou pour les laisser sans suite ».

[181] Peut-être l’adoption du projet de loi constitutionnelle portant réforme du CSM (PRMX1306704L) voté en 1re lecture par l’AN en juin 2013, puis par le Sénat en juill. 2013, pourrait-elle changer la donne.

[182] C. pr. pén., art. 1er, al. 1er.

[183] P. Conte et P. Maistre du Chambon, Procédure pénale, 4e éd., A. Colin, 2002, n° 157.

[184] On se souvient que, à propos de la procédure pénale concernant Wenceslas Munyeshyaka, prêtre rwandais sus
pecté d’avoir participé au génocide réfugié en France (non encore jugé à ce jour et accusé de génocide et de crimes contre l’humanité par le TPIR), par un arrêt Mutimura c/ France, le 8 juin 2004, la Cour de Strasbourg a constaté une violation du droit de la requérante, partie civile, de voir sa cause entendue dans un « délai raisonnable » au sens de l’art. 6§1 de la Convention (au § 74 de l’arrêt, « la Cour estime que l’on ne saurait considérer comme “raisonnable” une durée globale de presque neuf ans pour une information pénale au demeurant toujours en cours »).

[185] Rappelons que, pour la CEDH, le principe de l’égalité des armes, composante du droit à un procès équitable, « exige un “juste équilibre” entre les parties : chacune doit se voir offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son ou ses adversaires » (CEDH, gr. ch., 18 févr. 2009, Andrejeva c/ Lettonie, § 96).

[186] Loi relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale.

[187] Alors que dans leur version antérieure, issue de la loi n° 92-1336 du 16 déc. 1992 relative à l’entrée en vigueur du nouveau C. pén. et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur, les dispositions de l’art. 698-2 C. pr. pén. relatives à l’impossibilité pour la victime de se constituer partie civile n’étaient pas applicables « en cas de décès, de mutilation ou d’infirmité permanente ». Cette régression est étonnante dans la mesure où elle contrarie le mouvement de « normalisation » de la justice pénale militaire. À cet égard, il peut être rappelé que le Principe n° 16 du Projet de principes sur l’administration de la justice par les tribunaux militaires (Rapport préc.), consacré à l’« Accès des victimes à la procédure », précise notamment que celles-ci « disposent du droit de dénoncer les faits criminels et de saisir les tribunaux militaires pour que des poursuites judiciaires soient engagés » (ce qui est recommandé pour les tribunaux militaires l’étant a fortiori pour les pôles spécialisés intégrés au sein des tribunaux de droit commun, tel le pôle spécialisé en matière militaire du TGI de Paris).

[188] § 71.

[189] § 68 (souligné par nous) ; dans le même sens, v. aussi, par ex., CEDH, 28 oct. 1998, n° 22924/93, Aït-Mouhoub c/ France, D. 1999. 268, obs. J.-F. Renucci ; RSC 1999. 384, obs. R. Koering-Joulin.

[190] § 69.

[191] § 70.

[192] Il faut relever que la première phrase de l’art. 689-11, al. 2, C. pr. pén., selon laquelle « la poursuite [des crimes 
relevant de la compétence de la Cour pénale internationale] ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l’extradition de la personne », non applicable aux éventuelles complicités françaises dans le génocide des Tutsi, viole, lui aussi, le droit des victimes d’accéder au juge pénal tel que consacré par la CEDH.

[193] Loi relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur.

[194] V. not. CEDH, 21 nov. 1995, n° 19248/91, Acquaviva c/ France, D. 1997. 206, obs. J.-F. Renucci ; RSC 1996. 483, obs. R. Koering-Joulin ; ibid. 717, obs. L.-E. Pettiti.

[195] Crim., 19 juin 2001, Bull. crim. n° 147.

[196] Ass. Plén., 15 avr. 2011, Bull. crim. 2011, Ass. Plén., n° 1 (dans le même sens, v. Ass. Plén., 15 avr. 2011, Bull. crim. 2011, Ass. Plén., n° 3 et Ass. Plén., 15 avr. 2011, Bull. crim. 2011, Ass. Plén., n° 4).

[197] Comme devrait sans doute aussi être neutralisée – sous la forme d’une impossibilité de tirer une cause de nullité de son absence lors de la mise en mouvement de l’action publique ou, plus radicalement et plus efficacement, sous celle d’une intervention du législateur – la demande d’avis au « ministre chargé de la défense ou de l’autorité militaire habilitée par lui », exigée par l’art. 698-1 C. pr. pén., dès lors que, bien que consultatif, « il semble qu’il soit suivi dans environ 80 % des cas » (C. Saas, Les tribunaux militaires en France, in Juridictions militaires et tribunaux d’exception en mutation – Perspectives comparées et internationales (dir. d’E. Lambert Abdelgawad), EAC/AUF, 2007, p. 328).


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