L'image de Clovis et des Mérovingiens dans les manuels scolaires de la fin du XIXe siècle à nos jours : Reflet de l'évolution historiographique et des pratiques pédagogiques The image of Clovis and the Merovingians in textbooks from the end of the 19th century to today : Reflection of historiographic evolution and pedagogical practices

Catherine Faure 

https://doi.org/10.25965/dire.935

Les images ont joué un rôle essentiel dans l'enseignement de l'histoire. A partir du moment où l'histoire devient une discipline d'enseignement obligatoire, elles participent à la formation patriotique du jeune enfant. L'histoire mérovingienne est une période d'étude privilégiée car elle est présente dans les programmes dès 1882 jusqu'à nos jours. Considérée comme une période clé, dans les manuels de 1882 jusqu'aux années 1960, liée à la naissance de la France et à une réflexion sur l'identité nationale, elle voit sa place évoluer pour apparaître à partir des années 1980 comme une période de transition entre Antiquité et Moyen Age.
Il semble important de comprendre, à travers l'étude de quelques manuels significatifs allant des années 1900 à nos jours, quelles images l'Ecole a sélectionnées et choisies pour étudier la question des Mérovingiens et plus largement la question des origines de la France.

Pictures have played an essential part in history teaching. Since history has become a compulsory education subject, pictures have been involved in child's patriotic education by giving him examples to follow through a wide range of representations. Merovingian history is a privileged period of study, for it has been present in the school curriculum since 1882 up to the present day. Considered to be a key period in textbooks from 1882 to the 1960's because it was linked to the birth of France, and to the reflection on national identity, its place has evolved in the 1980's, to represent a transitional period between Antiquity and the Middle Ages.
Through the study of some significant textbooks from the 1900's to this day, it seems important to understand, which pictures School selected and chose to show on the question of the Merovingians, and more widely on the question of the origins of France.

Sommaire

Texte intégral

Introduction

Privilégiant les textes, les historiens n'ont que tardivement intégré l'image dans leur corpus ordinaire de sources. L'image, assignée au rôle d'illustration et rarement le point de départ des recherches en histoire, était laissée à d'autres spécialistes comme les historiens de l'art. Toutefois l'intérêt pour l'image s'est accru, en réponse à une demande sociale et face à la prolifération contemporaine des images. Aujourd'hui, comme l'affirme Christian Delporte (2008), les images occupent une place de plus en plus importante dans les manuels scolaires.

On ne saurait revenir sur le rôle des manuels scolaires d'histoire dans la formation des élèves (Verdhelan-Bourgade, Bakhouche, Etienne & Boutan 2007). A l'école, l'histoire joue un rôle particulier destiné à faire comprendre l'organisation de la société. Elle sélectionne les faits qu'elle présente, véhicule des valeurs et porte des jugements sur certains événements, certaines figures historiques (Amalvi, 1979). Les images jouent un rôle essentiel dans la transmission du message diffusé par le texte. Toutefois, les images n'ont pas le même rôle dans les manuels en fonction de l'évolution chronologique (Choppin, 1992). Dès que l'École devient obligatoire, elles permettent d'illustrer les principaux thèmes d'étude des programmes. Ernest Lavisse, ministre de l'instruction publique (en 1879, 1881, 1882 et 1883) et auteur de manuels rappelle sa conception de l'enseignement de l'histoire : « la leçon est toujours très courte, elle comprend un texte de quelques lignes, voilà pour la mémoire ; un récit et une gravure : voilà pour l'imagination » (Lavisse, 1907, préface p. VII). Les images sont alors des gravures destinées à conforter le texte : « toutes les gravures sont placées en regard du texte qu'elles suivent de très près. Elles n'ont donc besoin, comme légende, que d'un simple titre » (Lavisse, 1924 avant-propos). Cet intérêt pour les images dans l'enseignement ne se dément pas et augmente au cours du XXe siècle. Les images proposées viennent certes toujours conforter le texte des auteurs, mais le rapport texte-image doit être envisagé de façon plus complexe car les images deviennent elles-mêmes objets d'apprentissage à partir des années 1980.

Pour mener à bien cette étude, nous allons privilégier une période historique assez méconnue : la période mérovingienne. Ces trois siècles, qui vont de l'avènement de Clovis (481) à l'avènement des Carolingiens (751), correspondent à une période de transition entre la fin de l'Antiquité et le début du Moyen Âge, période peu familière des élèves et présentée souvent de manière différente, voire contradictoire selon les manuels. Ainsi, un des personnages principaux, Clovis peut apparaître comme le fondateur de la France ou au contraire comme un barbare, chaque époque choisissant de mettre l'accent sur tel aspect plutôt que tel autre. La période mérovingienne est devenue aussi un mythe fondateur national parce qu'elle cristallise de nombreuses perspectives : victoire du christianisme, victoire sur les barbares que sont les Huns, naissance de la France.

Une approche méthodologique spécifique a été nécessaire pour mener à bien cette réflexion autour de trois axes : le besoin de définir le terme image, sa place dans les manuels, puis la nécessité de constituer un corpus de manuels pour arriver enfin à identifier des périodes chronologiques donnant à voir une évolution significative de l'utilisation des images des Mérovingiens dans les manuels scolaires (Perret-Truchot, 2015).

Les images que l'on trouve dans les manuels d'histoire sont des reproductions imagées sous forme de gravures (manuels de la fin du XIXe et du début du XXe siècle), de dessins puis de photographies. Toujours présentes dans les manuels, elles voient leur rôle évoluer depuis le début du XXe siècle. Sous la Troisième République les images ont une fonction de dramatisation et un rôle affectif lié à la conception de l’enseignement de l’histoire comme récit (Ogier, 2007), puis à partir des années 1970, elles deviennent objet d'étude pour elles-mêmes représentant les traces du passé pour évoluer en objet d'apprentissage susceptibles d'un enseignement méthodologique à la fin du XXe siècle.

Le corpus de manuels retenu est issu du fonds Histoire de l’éducation de l'ESPE du Limousin (Université de Limoges). Un échantillon d'une vingtaine de manuels d'histoire en usage dans l'enseignement primaire français des années 1900 à nos jours a été retenu. Pour les années 1900 à 1980, nous avons choisi des manuels correspondant au niveau cours élémentaire (pour des enfants de 7 à 9 ans) qui présentent un nombre d'images beaucoup plus important que dans les manuels du cours moyen davantage centrés sur le texte (Gaulupeau, 1986). A partir des années 1980, la réforme de l'éveil privilégie la structuration du temps au Cours Elémentaire, ce qui nous a amené à utiliser les manuels du Cours Moyen qui seuls abordent alors l'étude des Mérovingiens.

Nous avons essayé de répartir les ouvrages en plusieurs périodes chronologiques qui par leur contenu et leur style iconographique présentent une certaine homogénéité. Cette répartition chronologique a été la plus difficile à établir car elle doit prendre en compte deux temps qui n'ont souvent pas grand chose en commun : le temps des historiens et le temps des programmes et pratiques de classe.

A. Le temps des historiens (Graceffa, 2009)

Au XIXe siècle, les historiens participent à la construction des Etat-Nations et à une certaine instrumentalisation politique du passé (Garcia & Leduc, 2003). L'étude de Clovis et des Mérovingiens se prête particulièrement bien à cette construction. Dans l'entre-deux guerres, l'historien Louis Halphen présente une Europe organisée par l’installation des peuples en « royaumes barbares », Marc Bloch dans une approche socio-économique souligne l’importance des invasions et les contrastes de civilisations entre Germains et Romains. Il faut attendre la fin des années 1960 pour que les idéologies nationales disparaissent. Grâce aujourd'hui à des programmes de recherche internationaux, grâce aux données de l'archéologie, les historiens montrent que le monde romain n'a pas disparu mais s'est transformé. Ce processus aboutit à la création de nouvelles identités ethniques autour desquelles se forgent, lentement, de nouveaux peuples (Coumert & Dumézil, 2010). Ainsi, aujourd'hui historiens français et allemands mettent en valeur les phénomènes culturels d’accommodation ou de fusion entre gallo-romains et germains et répudient les mythologies nationales (Beaune, 1985 ; Thiesse, 1999 ; Nicolet, 2003 ; Geary, 2001 ; Pohl, 2005 ; Coumert, 2007).

Ces évolutions profondes proposées par les historiens du haut Moyen Âge dans la compréhension du monde mérovingien ne sont que tardivement prises en compte dans les programmes et les pratiques de classe.

B. Le temps des programmes et des pratiques de classe

Grâce à l'action d'Ernest Lavisse, sous la Troisième République, l'histoire est enseignée à tous les degrés d'enseignement (Bruter, 1995). Une finalité est alors assignée à l’histoire : la finalité patriotique (Citron, 2008). La période de Clovis et des Mérovingiens est un moment clé dans la construction de la France (Roca, 1997). Des années 1890-1900 à 1945, les programmes d'histoire ne connaissent guère d'évolution. Les mêmes images se retrouvent dans les manuels : Clovis sur son bouclier, le vase de Soissons, le baptême de Clovis, les rois fainéants sur leur char... insistant sur le rôle fondateur des Mérovingiens et de Clovis dans la construction de la France. Au sortir de la guerre, les nouveaux dirigeants ont conscience que l'École doit être impérativement réformée en profondeur afin de s’adapter à la nouvelle société. Les élèves n'arrêtent plus leur cursus à la fin de l'école primaire et les programmes doivent évoluer. Il faut attendre les programmes d'histoire de 1978 pour le cours élémentaire et 1980 pour le Cours Moyen, avec la réforme de l'éveil (Luc, 1985) pour noter une réelle évolution dans les méthodes plus que dans les contenus. Les images traditionnelles des Mérovingiens, sous forme de gravures et de dessins, laissent désormais place à ce que les manuels appellent "traces du passé" : armes mérovingiennes, émaux mérovingiens, ivoires... Les manuels d'histoire privilégient désormais les sources, laissant de côté les dessins. Si les programmes de 1980 ne restent pas longtemps en vigueur, puisque à partir de 1985, un nouveau programme est en place, la présence des images-sources est désormais la norme.

Pour comprendre ces évolutions, nous essaierons de montrer en quoi le choix des images est à la fois le reflet de l'évolution historiographique et le reflet de l'évolution des pratiques pédagogiques, autour de deux périodes clés : une première période allant des années 1900 aux années 1960, lors de laquelle les manuels donnent une image controversée de Clovis et des Mérovingiens en s'appuyant sur une grande abondance d'images alors qu'elles sont encore chères (voir article de L. Perret dans le présent volume), puis une seconde période allant des années 1960 à nos jours, lors de laquelle les images, assimilées à des traces du passé, veulent d'abord placer les élèves dans le statut d'apprenti historien (années 1980) avant de privilégier à partir des années 1990 leur formation critique, tout en restant au plus près de la vision renouvelée de la période mérovingienne proposée par la recherche.

Les années 1900-1960: l'histoire en images, simplification et stylisation du passé

Les années 1900-1960 montrent une double évolution : d'une part des manuels proposant des images en nombre croissant grâce à des procédés techniques plus performants, d'autre part des méthodes pédagogiques qui se veulent plus rigoureuses.

A. Des images en nombre croissant

Dès que l'école est devenue obligatoire, les maisons d'édition mettent au point un modèle d'organisation qui ne va guère connaître d'évolution jusqu'à la fin des années 1950. Le texte est divisé en paragraphes numérotés et les images, sous forme de vignettes en noir et blanc de petit format, sont insérées dans le fil du texte. Les titres des ouvrages révèlent l'intérêt des éditeurs pour les images : Cours élémentaire d'histoire de France avec 366 gravures dont 14 tableaux de récapitulation par l'image pour le manuel Gauthier-Deschamps de 1908 (Gauthier-Deschamps, 1908), Histoire de France par l'image et l'observation directe pour le cours Devinat refondu par Toursel chez Martinet en 1933 (Devinat-Toursel, 1933). Les noms des illustrateurs sont toutefois rarement cités.

Figure 1 : Gauthier-Deschamps (1908), Cours élémentaire d'histoire de France, Hachette, p. 17

Figure 1 : Gauthier-Deschamps (1908), Cours élémentaire d'histoire de France, Hachette, p. 17

La page 17 du manuel Gauthier-Deschamps (Figure 1) présente une synthèse en images des périodes mérovingienne et carolingienne. Elle s'organise autour des deux personnages clés que sont Clovis et Charlemagne. Autour de chacun gravitent quatre images qui illustrent les points importants à retenir. L'élève peut retracer les moments clés de l'histoire de Clovis et des Mérovingiens. Les Francs, sous la direction du chef qu'ils ont choisi (vignette en haut à droite), s'imposent face aux Huns, chassés de Paris grâce à sainte Geneviève (vignette en haut à gauche). Clovis, après sa victoire sur les Alamans à Tolbiac promet de se convertir au catholicisme (vignette en bas à gauche), promesse qui se concrétise par le baptême (vignette en bas à droite). A partir de ce moment, Clovis a l'appui de l'Eglise.

Note de bas de page 1 :

Né vers 1870, Ferdinand Raffin est un illustrateur français. Au cours de sa longue période d'activité - près de 60 ans - il illustre divers livres pour les maisons d'édition Armand Colin, Gedalge, Mame, Martinet, Picard & Kaan, etc. Il rejoint La Semaine de Suzette en 1909 et lui restera fidèle jusqu'en 1948. Il collabore à de nombreuses revues, comme Le Chat Noir, Le Petit Français illustré, etc. Il a également à son actif un nombre non négligeable d'ouvrages scolaires (lecture, orthographe, etc.). 

Un manuel toutefois se démarque des précédents : le Devinat et Toursel (Figure 2) qui propose une approche de l'histoire à partir d' images en couleur : Histoire de France par l'image et l'observation directe avec des illustrations de Ferdinand Raffin1.

Figure 2 : Devinat, E & Toursel, A. (1926). Histoire de France par l'image et l'observation directe, Martinet, p. 8

Figure 2 : Devinat, E & Toursel, A. (1926). Histoire de France par l'image et l'observation directe, Martinet, p. 8

L'étude des Mérovingiens s'appuie sur quatre vignettes. La lecture en est facilitée par le titre et les sous titres (un chef Clovis, les Francs cruels, les Francs pillards et le roi Dagobert) et par la composition rigoureuse de chaque vignette. Un même schéma organise l'image qui est divisée en deux par une ligne verticale (Clovis/ colonne/ panache de fumée) autour de laquelle gravitent des personnages qui se découpent sur un fond pastel. Le résumé s'appuie sur les vignettes et donne une image très stéréotypée des Mérovingiens : des barbares cruels, menés par Clovis. Bons et mauvais rois sont nettement identifiés ce qui permet de penser que les auteurs de manuels s'appuient sur les écrits de Grégoire de Tours (VIe siècle) qui attribue des bons et mauvais points aux différents rois de la dynastie mérovingienne en privilégiant ceux qui ont été généreux avec l'Eglise (Heinzelmann, 1994).

Après 1945, progrès techniques (grâce à l'impression offset) et finalités pédagogiques conjuguent leurs efforts pour provoquer une mutation des manuels. Si le nombre des images continue à progresser pour le niveau élémentaire (Gaulupeau, 1986), leur place est désormais essentielle pour le cours moyen : alors qu'elles étaient souvent placées en fin de chapitre, dorénavant une ou plusieurs images accompagnent chaque page de leçon (Brossolette et Ozouf, 1946). (Figure 3).

Figure 3 : Brossolette, L. & Ozouf, M. (1946). Mon premier livre d'histoire de France, Images en couleur, Delagrave, p. 9

Figure 3 : Brossolette, L. & Ozouf, M. (1946). Mon premier livre d'histoire de France, Images en couleur, Delagrave, p. 9

La dimension des illustrations s'accroit. Le rapport du texte et de l'image tend à s'inverser. Limitée par une bordure noire, (Brossolette et Ozouf, 1946), l'illustration sort du cadre étroit de la vignette (Bernard & Redon, 1959) (Figure 4).

Figure 4 : Bernard, P. & Redon F. (1959). Notre premier livre d'histoire, Nathan, p. 12

Figure 4 : Bernard, P. & Redon F. (1959). Notre premier livre d'histoire, Nathan, p. 12

La couleur est utilisée de façon significative. Les noms des illustrateurs sont mieux connus ; ils figurent sur la couverture ou la page de titre, d'autant que l'habitude est prise de confier la totalité de l'illustration à un seul artiste. On peut signaler les noms de René Giffey (Ozouf, Leterrier & Giffey, 1961), Henri Dimpre (Bernard & Redon, 1959), Pierre Rousseau (Chaulanges & Chaulanges, 1959). Le style graphique dominant se caractérise par une grande simplicité du trait, souvent rehaussé par des aplats de couleurs franches. Les scènes représentées montrent les personnages dans l'action comme si leurs gestes étaient pris sur le vif. Leurs traits sont peu visibles alors que leurs expressions sont sans équivoque, dures ou au contraire bienveillantes. Elles jouent sur l'émotion des jeunes enfants par des illustrations significatives aisées à utiliser dans le cas des Mérovingiens. Plusieurs épisodes s'y prêtent particulièrement bien : la férocité des Huns, Clovis proclamé roi sur le pavois, le vase de Soissons, le supplice de Brunehaut, ou encore le cortège des rois fainéants tirés par des bœufs.

Aux figures héroïques de Clovis et Dagobert, s'oppose la vision des derniers rois mérovingiens paresseux et traînés dans des chars à bœufs. Cette fainéantise des descendants de Clovis est caractérisée par une absence de volonté, le rejet de toute forme de travail ou d’effort. La représentation de ces rois avachis sur de pauvres chars illustre leur dépravation morale et physique, que la mention d’une longue chevelure – pourtant attribut royal et sacré chez les Mérovingiens – vient même conforter (Lavisse & Conard, 1935). La conséquence attendue du délitement de la puissance publique est un « retour à la barbarie », un état d’anarchie.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale une rupture significative intervient avec cette double lecture. Même si Clovis reste toujours un roi courageux mais rusé et cruel (Chaulanges, 1959), les manuels donnent une vision négative des Francs : « Les Francs sont des Barbares ; ils s'habillent de peaux de bêtes, ils ne savent ni lire ni écrire » (Bonifacio & Merieult, 1952) (Figure 5). La raison essentielle en est la mutation profonde de la figure héroïque, désormais déplacée sur la victime (Chanet, 2000). L’expérience du dernier conflit stimule cette approche et renforce l’assimilation déjà observée entre Allemands modernes et conquérants germains, « rudes et grossiers » (Ozouf et Leterrier, 1961).

Ce grand nombre d'illustrations nécessite de s'interroger sur le rôle de l'image dans la formation de l'élève. La dimension pédagogique permet d'entrevoir la finalité d'utilisation des images : d'abord impliquer l'imagination des élèves avant d'inciter, par des questions précises, à la mise en place d'une participation plus active des élèves.

B. Impliquer l'imagination des élèves

Selon E. Lavisse (Lavisse, 1907), les images sont là pour développer la mémoire et l'imagination des élèves. L'enfant est guidé par les images qui semblent parler par elles-mêmes. Toutefois, cette juxtaposition est trompeuse car chaque image est accompagnée de questions qui guident l'enfant dans la réponse à apporter. Ainsi, dans le manuel Gauthier-Deschamps de 1908 (p. 9, cf. figure 5), la dernière question d'élocution est la suivante : « cette histoire du vase de Soissons vous prouve-t-elle que les rois francs étaient très obéis de leurs guerriers ? que les rois francs étaient barbares ? » Elle n'induit qu'une réponse qui est donnée dans le texte en vis-à-vis (p. 9) : « cette vengeance cruelle de Clovis prouve combien les Francs étaient encore des barbares ».

Figure 5 : Gauthier-Deschamps (1908). Cours élémentaire d'histoire de France, Hachette, p. 9

Figure 5 : Gauthier-Deschamps (1908). Cours élémentaire d'histoire de France, Hachette, p. 9

C. Vers une participation plus active des élèves ?

Grâce aux images en couleur, pendant l'entre-deux guerres, cette orientation est renforcée. Une foule de détails savamment agencés activent l'imagination tout en orientant la lecture que peut en faire l'élève par des questions fermées. Le Devinat-Toursel de 1933 correspond à cette approche. Quatre images par page permettent à l'élève d'avoir une approche d'un thème. Ainsi, la page 8, la Gaule envahie, présente quatre vignettes strictement délimitées par un cadre (Figure 2 ci-dessus). Les questions posées avec les réponses placées sous les images sont à destination du seul maître (comme les auteurs l'indiquent dans l'avant-propos). La vignette 2 « les Francs pillards » présente une bande de Francs transportant des coffres, des tissus, dans une villa gallo-romaine. Au premier plan, un gallo-romain assassiné, revêtu d'une toge blanche, certainement le propriétaire de la villa, renforce l'idée de brutalité et de cruauté des Francs. Les questions posées sous la vignette suggèrent que le maître peut emmener les élèves beaucoup plus loin dans les explications du dessin. Après la description de l'image, il va chercher à justifier ces pillages en posant la question suivante : « la Gaule n'était donc pas défendue ? ». La réponse attendue est la suivante : « la Gaule était mal défendue, après une longue paix, il y avait peu de soldats et elle était donc une proie facile ». On voit comment le pillage d'une villa gallo-romaine, représentative du mode de vie des aristocrates gallo-romains, permet d'évoquer la crise que connait la Gaule au Ve siècle, crise dont l'origine serait l'arrivée des Francs pillards et cruels.

On constate une volonté de la part des auteurs des manuels de concevoir les leçons en partant des images. Toutefois, les questions fermées posées par le maître guident fermement l'élève ne lui laissant pas la possibilité d'émettre des hypothèses.

Vingt ans après dans le manuel Bonifacio de 1952 (Bonifacio, 1952) (Figure 5), la même démarche est à l'œuvre. Les images ne sont certes plus enfermées dans un cadre, il n'y a plus de limites précises entre le dessin et le texte mais les questions sont toujours des questions fermées qui induisent une seule réponse.

Figure 6 : Bonifacio & Merieult. (1952). Histoire de France images et récits, Hachette

Figure 6 : Bonifacio & Merieult. (1952). Histoire de France images et récits, Hachette

Dès les années 1960, ces images sous forme de dessin disparaissent pour laisser la place à une autre représentation du passé : l'utilisation des traces du passé.

Des années 1960 à nos jours: les "images" comme traces du passé

A. Années 1960-années 1980 : les images comme traces du passé pour former des apprentis-historiens

Note de bas de page 2 :

On constate une évolution identique au lycée (Baquès, (2007).

A partir des années 1960, les manuels délaissent les illustrations pour favoriser les sources historiques2 : le calice de Gourdon (Chaulanges, 1963) ou l'image d'une stèle funéraire (Gautrot-Lacour et Gozé, 1965) sont les seules illustrations proposées pour permettre à l'élève de se représenter en image la période mérovingienne (Figure 7 et 8).

Figure 7 : Chaulanges, M. & Chaulanges, S. (1963). L'histoire au cycle moyen, Delagrave

Figure 8 : Gautrot-Lacourt, J. & Gozé, E. (1965). Histoire de France. Cours moyen et classes de 8e et 7e, Bourrelier

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Les programmes de 1980, en lien avec la réforme de l'éveil, promeuvent un nouveau modèle pédagogique (Hery, 2013). L'histoire se fait désormais à partir de sources qu'il convient d'interroger pour construire la connaissance historique (Luc, 1985). Une seule image est présentée pour étudier le baptême de Clovis (Hinnewinkel, Hinnewinkel, Sivirine & M. Vincent, 1981) (Figure 8) : une plaque d'ivoire provenant du musée d'Amiens.

Cette plaque d'ivoire sculptée servait de reliure à un manuscrit aujourd'hui perdu qui contenait probablement une Vie de saint Remi de Reims. Elle figure trois miracles du saint parmi lesquels, au registre inférieur, le baptême de Clovis en présence de la reine Clotilde qui occupe la bordure gauche de la scène. On voit Clovis immergé dans la cuve baptismale tandis qu'une colombe apporte du Ciel une fiole contenant l'huile miraculeuse. Cette représentation, la plus ancienne que nous ayons du baptême, n'est pas contemporaine de la cérémonie (Ve siècle). Elle fut produite dans l'entourage de l'évêque Hincmar de Reims (845-882) donc au IXe siècle, soit quatre siècles après l'événement. Hincmar fut le premier à revendiquer pour sa cathédrale le monopole du sacre, en se fondant sur le rôle joué par Remi auprès de Clovis. Comme son prédécesseur avait baptisé le roi des Francs, il lui appartenait de sacrer les souverains. A partir de là naît une confusion entre le baptême de Clovis et le sacre des rois dont le premier fut celui de Pépin le Bref en 751.

Figure 9 : Ivoire carolingien de Saint Remi de Reims : le baptême de Clovis. 180 x 115 mm. Amiens, musée de Picardie, extraite de Hinnewinkel, Hinnewinkel, Sivirine & M. Vincent, 1981. Histoire, découvrir, comparer, connaître, Cours Moyen, Fernand Nathan

Figure 9 : Ivoire carolingien de Saint Remi de Reims : le baptême de Clovis. 180 x 115 mm. Amiens, musée de Picardie, extraite de Hinnewinkel, Hinnewinkel, Sivirine & M. Vincent, 1981. Histoire, découvrir, comparer, connaître, Cours Moyen, Fernand Nathan

Ces sources, qui nécessitent de solides connaissances scientifiques, ne peuvent être utilisées qu'avec l'aide du maître et ne parlent guère à l'imagination des élèves. Les maîtres, sans formation nécessaire, n'ont pas toujours les moyens d'en voir les limites, d'autant que de nombreuses images sont insérées dans les manuels sans aucune référence comme dans l'ouvrage de G. Dorel Ferré chez Armand Colin (Dorel Ferré, 1981) (Figure 10). Seule une légende précise : « de merveilleux bijoux barbares : une boucle de ceinture et une broche ».

Figure 10 : Dorel Ferré, G. (1981). Les activités d'éveil au Cycle Moyen, Histoire, Armand Colin, p. 45

Figure 10 : Dorel Ferré, G. (1981). Les activités d'éveil au Cycle Moyen, Histoire, Armand Colin, p. 45

Les images retenues dans les manuels sont rares car peu nombreuses pour la période mérovingienne. On assiste à certaines incohérences : un souci de faire appel à des sources (mais que nous ne pouvons considérer comme telles car elles ne sont pas contemporaines de l'époque étudiée) et un texte de l’auteur dénué de toute objectivité scientifique.

La période mérovingienne a donc du mal à trouver sa place pendant ces années de réforme. A partir des années 1990-2000, une réflexion nouvelle s'installe qui cherche à intégrer dans les manuels les résultats de la recherche universitaire et des avancées pédagogiques en adoptant de nouveaux axes de réflexion.

B. Des années 1990 à nos jours : de nouveaux enjeux : une vision renouvelée des Mérovingiens et une place nouvelle pour l'image dans la formation des élèves

Note de bas de page 3 :

Il apparait toutefois encore dans le manuel de Baillat, Chossenot & Demotier, 1997.

A partir de 1995, les contenus des programmes se rapprochent des résultats de la recherche universitaire qui présente alors, grâce aux travaux de Régine Le Jan sur le haut Moyen Âge (Le Jan, 1995), une approche renouvelée des Mérovingiens. Plusieurs aspects sont vivement remis en cause : le terme d'invasions barbares3 est délaissé au profit de migrations germaniques (Le Calennec, 1997), l'année 496 du baptême de Clovis pose question et n'est plus acceptée sans interrogation dans les programmes (Rouche, 1997). Enfin, dans les manuels les plus récents, l'idée de rupture entre empire romain et époque mérovingienne est abandonnée (Delaplace, 2015) à la faveur de continuité (programme de novembre 2015) ce qui entraîne les auteurs du manuel Hatier (2016) à écarter l'image du chariot traîné par des bœufs au profit d'une image jusque là inédite : la division du royaume franc entre les fils de Clovis. Certes, cette image n'est pas une source puisqu'elle date du XVe siècle, elle veut avant tout casser l'image des rois fainéants hérités de la Troisième République. (Figure 11).

Figure 11 : Le partage du royaume de Clovis entre ses quatre fils, Chroniques des Rois de France, musée Condé, Chantilly, XVe siècle. Le Callennec, S., Martinetti, F. & Szwarc, E. (2016). Histoire, histoire des arts CM, cycle 3, Hatier.

Figure 11 : Le partage du royaume de Clovis entre ses quatre fils, Chroniques des Rois de France, musée Condé, Chantilly, XVe siècle. Le Callennec, S., Martinetti, F. & Szwarc, E. (2016). Histoire, histoire des arts CM, cycle 3, Hatier.

Contrairement à la période précédente, lors de laquelle, les auteurs de manuels ne voyaient pas la nécessité d'indiquer les références précises des documents, désormais tous se font obligation à la fois d'insérer l'origine des documents (date de production, nature ) et de proposer un questionnement à côté des images. Si les questions permettent toujours de guider la description du document, elles amènent de plus en plus l'élève à s'interroger sur la nature du document proposé (Le Callennec, 2009) (Figure 12). L'étude de la tablette d'ivoire évoquant le baptême de Clovis, s'accompagne de questions demandant aux élèves de préciser la date de production de la tablette et de dire si cette image est une source ou un document. A partir des années 2000, apparaît donc la nécessité de s'interroger sur le statut de l'image elle-même. Les questions qui accompagnent les images poussent l'élève à avoir un regard critique sur les documents du manuel, regard critique qui passe par une attention renforcée portée à la date de production.

On retrouve ainsi dans les manuels du primaire des interrogations qui étaient présentes depuis longtemps dans les manuels de collège. On assiste à une diffusion progressive d'un modèle didactique d'analyse du document issu du secondaire (Falaize, 2016).

Enfin les images présentent l'opportunité de s'interroger sur la méthode historique. Elles privilégient la mise en pratique d'une posture critique chez les élèves. Une tendance assez nette dans les manuels de la dernière décennie pousse les élèves à s'interroger sur la manière dont l'historien écrit son discours (Le Callennec, 2009). Une question à propos de l'étude de la tablette en ivoire montrant le baptême de Clovis révèle bien cette intention : « A ton avis, les historiens considèrent-ils cet épisode comme la vérité historique ? ».

Figure 12 : Le Callennec, S. (2009). Histoire-géographie CE2, Hatier, p. 72

Figure 12 : Le Callennec, S. (2009). Histoire-géographie CE2, Hatier, p. 72

La question voudrait amener l'élève à comprendre que l'écriture de l'histoire n'est pas une simple reproduction de la réalité. Elle doit s'appuyer sur des critères précis (ici observer que la date de production du document (IXe siècle) ne correspond pas à la date à laquelle les faits se sont produits (Ve siècle). Ainsi, les élèves sont amenés à distinguer l'histoire de la fiction, à prendre conscience que certaines images peuvent être produites bien longtemps après que l'événement ne se soit produit, comme le préconisent les programmes de 2015.

Se trouve ici posée la question de la vérité en histoire. L’histoire est ressentie à l’Ecole comme un récit vrai (par opposition au récit de fiction). Pour les élèves le professeur dit la vérité. Et l’enseignant, pour être crédible, doit faire « effet de vérité » (Borne, 2014). Une démarche originale en trois étapes se dégage (Le Callennec, 2009) : ce que l'on croit, ce que les historiens savent et ce que l'histoire a retenu du baptême de Clovis. Cette approche prend à son crédit la démarche de Paul Ricoeur qui dans son ouvrage Temps et récit (Ricoeur, 1991) identifie trois moments de l’opération historique : la phase documentaire ou recherche des différentes informations sur un événement s'apparente à ce que l'on croit ; la phase d’explication/compréhension correspond à ce que les historiens savent ; la phase de représentation qui permet d'identifier ce que l'on a retenu du baptême de Clovis. Il met en évidence l’intention de "de mise en intrigue", de donner sens à l'événement par le récit.

Cette approche très abstraite de l'image reste toutefois une exception. Le choix des images donnant à voir Clovis et les Mérovingiens ne varie guère dans les manuels du cycle trois des deux dernières décennies : les images-sources sont privilégiées, présentées avec toutes les informations nécessaires quant à leur date de production. Les images ne sont plus là pour montrer une reconstruction du passé, elles acquièrent un nouveau statut : elles deviennent des documents à critiquer, favorisant le raisonnement historique.

Conclusion

Les images ont joué et jouent encore un rôle essentiel dans l'enseignement de l'histoire. A partir du moment où l'histoire devient une discipline d'enseignement obligatoire, elles participent à la formation patriotique du jeune enfant en lui fournissant tout un panel de représentations qui lui propose des personnages à qui s'identifier. L'histoire mérovingienne est une période d'études privilégiée car elle est présente dans les programmes dès 1882 jusqu'à nos jours. Considérée comme une période clé dans la naissance de la France et de l'identité nationale, dans les manuels de 1882 jusqu'aux années 1960, elle voit sa signification évoluer pour apparaître à partir des années 1980 comme une période de transition entre Antiquité et Moyen Age, lors de laquelle la vision des Francs, assimilés à des « barbares », c'est à dire à l'Autre devient un élément de réflexion civique. Les images vont permettre aux élèves de rendre vivants des personnages et des attitudes difficiles à comprendre. Pendant presque un siècle, les images, sous forme d'illustrations sont là pour développer l'imagination des élèves, imagination qui reste toutefois sous le contrôle des maîtres qui apportent des réponses toutes faites. A partir des années 1980, les manuels proposent d'entrer dans l'histoire par des sources, traces du passé qui doivent permettre, avec l'aide du maître, de reconstruire l'histoire. Cette façon de faire, relativement abstraite, présente des faiblesses méthodologiques car aucune information concernant l'image elle-même n'est mentionnée (ni l'auteur, ni la taille, ni la date de production, ni le lieu de conservation si on a un objet archéologique). Les années 1990 et surtout 2000 constituent un tournant à cet égard, les images sont à la fois traces du passé mais aussi documents à critiquer, l'angle d'observation se déplace sur l'image elle-même. Les images sont accompagnées d'un questionnement rigoureux, exhortant à une réflexion sur les conditions de production de l'image.

Cette orientation peut être mise en lien avec la volonté de développer le jugement des élèves, maître mot des nouveaux programmes d'EMC en 2015.