LA TRIANGULATION DE LA FRANCE

Tout comme les propriétaires fonciers ont vu dans la carte un moyen de justifier leurs possessions, les pouvoirs étatiques vont vite utiliser les innovations cartographiques afin de justifier (ou de prévoir) leurs extensions et aménagements territoriaux.

La première étape consiste, en France, en la délimitation précise du territoire national par mesures astronomiques et triangulation. L’établissement de cartes précises est en effet un préalable indispensable à de grands travaux d’aménagement. Ce projet, réalisé à la demande de Louis XIV et de son ministre Colbert, nécessita la création d’une institution capable de maîtriser les techniques donnant lieu à l’exactitude attendue. Fut ainsi fondée l’Académie des Sciences où, entre 1679 et 1682, Jean Picard, directeur de l'Observatoire de Paris, le géographe Philippe La Hire et l'astronome italien, Jean Dominique Cassini menèrent à bien cette tâche. C’est l’époque des ingénieurs-géographes.

LA TRIANGULATION DE LA FRANCE

LES CORPS D’ETAT CENTRALISES

Les contours de la France étant fixés, on pouvait maintenant s’attacher à l’intérieur du royaume. Parmi les nombreux corps d’ingénieurs créés au XVIIIe siècle, deux sont particulièrement marquants.

En 1716 fut créé le corps des ingénieurs des ponts et chaussées (successeur d’un premier corps créé en 1669 par Colbert). Il a en charge le réseau routier de France et la gestion des cours d’eau navigables. En 1776, un arrêt définit quatre classes de routes, depuis les « grandes routes qui traversent la totalité du royaume, ou qui conduisent de la capitale dans les principales villes, ports ou entrepôts de commerce » jusqu’aux petites voies locales. Les routes de la première classe, ou routes royales (plus tard routes impériales ou nationales), alors construites devront avoir 42 pieds de largeur, soit environ 13 mètres et sont mesurées depuis un point zéro placé sur le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Il s’agit d’entretenir mais également d’élargir et surtout d’ouvrir de nouvelles voies de communication. Le corps est donc un grand producteur de cartes afin de renseigner l’état des lieux, les projets imaginés mais aussi les parcelles à exproprier. L’une de ses œuvres les plus impressionnantes est l’Atlas de Trudaine, réalisé entre 1745 et 1780 et qui cartographie l’intégralité des routes de France.

Atlas de Trudaine pour la généralité de Limoges. "Grand chemin de Limoges à Périgueux, commençant à la porte des Arrenes de la ville de Limoges jusqu'à Firbeix limitrophe des généralités du Limousin et du Périgord". Portion de route partant de "Limoges", bifurquant du "grand chemin d'Engoulême", franchissant la rivière Aurence ("Laurence"), jusqu'à hauteur de "Gigondat" et La-Genetie ("Le-Genety"). ANF, CP/F/14/8484, © Archives nationales de France

Si la carte sert à aménager l’espace en temps de paix, elle sert également à prévoir la guerre. Ainsi, depuis 1661, des ingénieurs-militaires sont chargés de réaliser des plans afin de renseigner l’armée quant aux points forts et aux faiblesses du royaume. Associés au bureau des fortifications puis au Génie militaire, leur premier rôle est de dresser des plans des fortifications des villes.

Cependant, ces plans restant très fragmentaires, Louis XV lance en 1746 le projet d’une carte couvrant l’intégralité du territoire français. César-François Cassini, petit-fils de Jean Dominique Cassini, est donc chargé de lever, avec l’aide d’une équipe d’ingénieurs, cette carte. L’ampleur du travail (les levés se sont échelonnés de 1756 à 1789) obligea son fils à prendre la suite jusqu’à la fin de la publication en 1815.

C’est notamment cette carte que la Révolution Française utilisera comme fond de plan afin d’imaginer et de tracer les futurs départements.

Plan de la ville et citadelle de Strasbourg, 1744, BNUS M.CARTE.1.224, © Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg
Cassini, planche 33 Limoges (1763-1776), BNF GE FF-18595 (33), © Bibliothèque nationale de France
LES CORPS D’ETAT CENTRALISES