LA CARTE RELIGIEUSE OCCIDENTALE : UN SYMBOLE NON REALISTE

En occident, la période médiévale rompt avec la tradition cartographique de l’Antiquité. Si les connaissances géographiques ne sont pas totalement oubliées, la fonction de la carte change du tout au tout. Alors qu’auparavant, il s’agissait de renseigner le réel, la carte devient dorénavant un support de réflexion philosophique, une illustration. Elle n’a pas pour but de représenter le monde tel qu’il est (et donc d’être utilisable par des voyageurs) mais tel qu’il est théorisé par différentes écoles de pensée, la plus importante étant celle de l’Eglise chrétienne. Apparaissent alors à partir du VIIIe siècle les cartes dites «TO» (TO pour Terrarum Orbis) ou T dans l’O. Tout en essayant de respecter certaines conceptions ptoléméennes (mers, océans, continents…), la carte schématise le monde de façon tripartite, négligeant les «détails» comme le tracé des côtes. Ces trois parties (Asie, Europe, Afrique) sont inscrites dans l’O de l’anneau océanique et sont séparées par le T dont la barre verticale représente la Méditerranée et la barre horizontale les fleuves du Tanaïs (séparation de l’Europe et de l’Asie) et du Nil (séparation de l’Asie et de l’Afrique). A l’intersection des deux barres est située la ville de Jérusalem autour de laquelle s’articule le monde.

A partir du XIIe siècle, un deuxième niveau de lecture sera mis en place : au-delà de la séparation du monde, la carte représentera la partition de la société : l’Asie pour les hommes libres et les prêtres, l’Afrique pour les esclaves et l’Europe pour les guerriers. Bien que plus «réalistes», car proposant une description des terres habitées, les mappemondes mettent également en valeur la vision que l’Eglise chrétienne a du monde. La mappemonde d’Ebstorf, par exemple, est censée «indique[r] aux voyageurs la direction à prendre» mais aussi «les dirige vers une réflexion plus haute.»

Mappemonde d'Ebstorf, Jérusalem et le tombeau du Christ ressuscité, Original daté de 1239 environ et détruit en 1943. Reproduction photographique du fac-similé publié en 1898 par Konrad Miller.., Trente feuilles de parchemin. diam. 1 m, BnF, Cartes et Plans, GE AA 2177, © Bibliothèque nationale de France
Les parties de la Terre, Livre des Propriétés des Choses (De proprietatibus rerum), Barthélemy l'Anglais (vers 1190-après 1250), Jean Corbechon traduction), Évrard d'Espinques (enluminure), 1479-1480., Parchemin, 40 x 30 cm, BnF, Manuscrits, Fr. 9140 f. 243v, © Bibliothèque nationale de France

Autour de quoi s’organise une carte ?

Une carte s’organise toujours autour d’un point central qui va donc focaliser l’attention du lecteur. Elle présente ainsi ce qui semble le plus important au cartographe ou, pour dire les choses autrement, chaque cartographe place spontanément sa culture et sa société au centre de la carte. Ainsi pouvons-nous trouver actuellement des planisphères centrés soit sur l’Europe, soit sur la Chine. Ceci sous-entend notre façon de regarder le monde. Le système de projection d’une carte est choisi en fonction de considérations économiques (comme la carte de Mercator à l’Epoque moderne), politiques ou religieuses (placer Jérusalem ou la Mecque au centre d’une carte).

LA CARTE RELIGIEUSE OCCIDENTALE : UN SYMBOLE NON REALISTE

LA GEOGRAPHIE ARABE

Tout comme la carte européenne s’articule autour de Jérusalem, une partie des cartes arabes s’articulent autour de la Mecque. En effet, chaque culture se place assez spontanément au centre de la carte, regardant le monde de son point de vue.

Certains savants arabes s’appuient sur la notion cosmogonique iranienne des sept "kishwars" : le monde est divisé en sept cercles géographiques égaux, le quatrième cercle représentant le centre du monde (l'Iran ou La Mecque) ; il est placé au centre des six autres cercles disposés autour de lui.

Cependant, une géographie plus scientifique se répand depuis le VIIIe siècle. Elle est liée à l’extension musulmane vers l’Europe et l’Asie et l’acquisition de traités géographiques antiques, dont Ptolémée, qui sont alors traduits. C’est ainsi que les systèmes de projection grecs sont assimilés.

A l’instar de la cartographie romaine, la géographie arabe a alors un rôle pratique. Il s’agit de décrire l’Empire islamique, le réseau routier, la topographie… afin de servir aux fonctionnaires (notamment fiscaux) ou à l’armée.

Au XIIe siècle, le géographe arabe al-Idrîsî (vivant à la cour chrétienne de Sicile) effectue une compilation de la connaissance géographique arabe en rédigeant une Géographie. Celle-ci décrit le monde connu alors et rassemble aussi bien des informations de géographie physique (ville, routes, relief…), que de nature économique, religieuse ou humaine.

Reconstitution du planisphère de la géographie d'al-Idrîsî Al-Idrîsî, Sicile et Magreb, 1154, et copie du XIIIe siècle. Manuscrit sur papier BnF, Manuscrits, Arabe 2221 © Bibliothèque nationale de France
Mappemonde centrée sur la Mecque, Kharidat al-ajâ'ib wa-faridat al-gharâ'ib (Perle des merveilles et joyau des raretés), Ibn al-Wardî, 1479 (883 de l'hégire)., BnF, Manuscrits, arabe 2188 fol 2v-3, © Bibliothèque nationale de France
LA GEOGRAPHIE ARABE

LES PORTULANS

A la fin du XIIIe siècle, l’extension du commerce maritime entraîna l’apparition d’un nouveau type de carte : le portulan (de l’italien portolano, livre d’instructions nautiques). Il a pour fonction d’aider la navigation en fournissant aux marins différentes informations : localisation des ports, des amers (repères visuels sur une côte permettant à un navire de se situer par rapport au rivage), des îles… mais également les hauts fonds, les courants ou les lignes de vents.

Destinées à des bateaux pratiquant le cabotage, ces cartes bénéficient à la fois des observations des marins (annotant les documents), de l’apparition de la boussole et de son développement en tant qu’instrument de navigation. En effet, son usage permet la représentation d’une rose des vents sur les cartes, et donc l’orientation par rapport aux lignes de vents (ou rhumbs). Le réseau de ces lignes forme alors le marteloire à partir duquel le navigateur peut calculer des angles de routes.

Depuis le traité de Tordesillas (1494), lié aux Grandes découvertes, les portulans seront considérés par le Portugal et l’Espagne comme des secrets d’Etat. Ils disparaissent au XVIIIe siècle.

Carte marine de l'océan Atlantique Est, de la mer Méditerranée, de la mer Noire et de la mer Rouge, Soleri Guillelmus (13..- 1399), Maioric, [vers 1380], BNF GE B- 1131 (RES), © Bibliothèque nationale de France
LES PORTULANS