Diagnostic écologique des habitats dans la Réserve Naturelle de la Tourbière des Dauges (Haute-Vienne) par la méthode « Syrph the Net » Ecological diagnoses of habitats in the nature reserve of the Dauges peat bog (Haute Vienne) using the “Syrph the Net” method

Philippe DUREPAIRE 

https://doi.org/10.25965/asl.827

Depuis 2013, le Conservatoire d'espaces naturels du Limousin utilise la méthode « Syrph the Net » pour évaluer les conditions de conservation des habitats dans la Réserve Naturelle Nationale des Dauges (Haute Vienne, Nouvelle Aquitaine). Dans le cadre de cette étude, la composition des communautés de syrphes (Syrphidae, Diptera) a été déterminée et utilisée pour évaluer l'intégrité écologique du site. Pendant trois années, l'étude a apporté une contribution substantielle à la connaissance de ce groupe taxonomique en Haute-Vienne. Un total de 2.905 syrphes appartenant à 115 espèces ont été capturés et identifiés. L'intégrité écologique de la réserve a été jugée bonne (61 %). Les habitats forestiers, qui couvrent environ 75 % du site, ont obtenu un score d'intégrité écologique de 60 %. Les hêtraies et les chênaies, les plus communs des habitats forestiers dans le site, se caractérisent par un net déficit en espèces spécifique des stades sénescents et des micro-habitats associés. En revanche, le score d'intégrité écologique était élevé dans les bois de châtaigniers et de bouleaux. Le score d'intégrité écologique des habitats ouverts était de 67 % et leurs conditions de conservation ont été jugées bonnes à très bonnes. Dans les milieux humides, les espèces de syrphes présentant une faible tolérance aux conditions d'inondation étaient sous-représentées. Dans l'ensemble, les résultats suggèrent que la restauration des habitats ouverts, initiée il y a 15 ans par le Conservatoire des espaces naturels du Limousin, a été couronnée de succès.

Since 2013, the Conservatoire d’espaces naturels du Limousin has used the “Syrph the Net” method to assess the conservation conditions of habitats within the Dauges National Nature Reserve (Haute Vienne, Nouvelle Aquitaine). As part of this study, the composition of hoverfly (Syrphidae, Diptera) communities was determined and used to assess the ecological integrity of the site. During three years, the study brought a substantial contribution to the knowledge of this taxonomic group in Haute Vienne. A total of 2,905 hoverflies belonging to 115 species were captured and identified. The ecological integrity of the reserve was assessed as good (61 %). Woodland habitats, which cover about 75 % of the site, had an ecological integrity score of 60 %. Beech and oak woodlands, the commonest of woodland habitats within the site, were characterised by a clear deficit in species which was specific of senescent stages and associated micro-habitats. In contrast, the ecological integrity score was high in chestnut and birch woodlands. The ecological integrity score of open habitats was 67 %, and their conservation conditions were assessed from good to very good. Within wetland habitats, hoverfly species with a low tolerance for flooded conditions were under-represented. Overall, the results suggest that the restoration of open habitats, initiated 15 years ago by the Conservatoire d’espaces naturels du Limousin, has been successful.

Sommaire
Texte intégral

Introduction

Située dans le département de la Haute-Vienne (87) au nord-est de Limoges, ce site fait partie des monts d’Ambazac. Cette réserve naturelle a été créée en 1998 et sa gestion a été confiée au Conservatoire d’espaces naturels du Limousin (CEN Limousin). La tourbière des Dauges est installée au centre d’une dépression quasiment fermée, de type alvéolaire. Elle se place dans l’étage collinéen, avec une altitude oscillant entre 550 m (fond tourbeux de l’exutoire) et 620 m (sommet des crêtes). Le centre est occupé par un mamelon granitique culminant à 570 m d’altitude sur lequel croît une lande à Ericacées. Sur une surface d’environ 200 hectares, se côtoient des milieux naturels dissemblables : les boisements (majoritairement feuillus), les milieux tourbeux, les prairies de pente et les landes sèches. L’activité qui a façonné ce territoire est sans nul doute l’agriculture. Dans les années 1950, près de dix exploitations agricoles utilisaient la tourbière des Dauges pour le pâturage des bovins. Le bassin versant était majoritairement en prairies et en landes sèches. A la suite de l’exode rural, ces milieux naturels se sont progressivement fermés pour laisser place à un bassin versant forestier. Les milieux tourbeux, ainsi que quelques lambeaux de prairie et de lande sèche sont maintenus ouverts par la gestion mise en œuvre par le CEN Limousin.

Les Diptères Syrphidés comptent actuellement 925 espèces en Europe et en Turquie (Speight et al.,.2014) et constituent la base de données StN. En France, on dénombre 532 espèces (Speight et Dussaix, communication personnelle). Aucune publication rapportant une liste de ces espèces en Haute-Vienne ou les départements limitrophes n’a été trouvée dans la littérature. A l’état de larves, les syrphes nécessitent des niches écologiques restreintes et ont la plupart du temps des exigences strictes quant à leur développement : ainsi, ils sont d’excellents bio-indicateurs. En France, les habitats et les micro-habitats naturels, traits de vie de plus de 95 % des espèces de syrphes sont connus (Speight et al., 2007 ; Sarthou et Sarthou, 2010). Ce taxon permet de couvrir donc la quasi-totalité des habitats naturels, une grande variété de niches écologiques, ainsi que les trois principaux niveaux trophiques : zoophage, microphage et phytophage (Castella et al., 2008). En comparaison avec d’autres groupes d’insectes, cette conjonction semble actuellement être unique.

L’objectif de cette étude est né de l’Agence Française pour la Biodiversité. Il s’agissait de vulgariser, par le biais de formations, cette méthode de diagnostic des habitats naturels. Cette étude, non prévue initialement dans le plan de gestion de la réserve, répond, cependant, assez bien à un souhait du Conseil Scientifique du CEN Limousin, à savoir prioriser ce type de méthodologie alliant contribution à la connaissance et spécification qualitative. Durant trois années consécutives (de 2013 à 2015), la méthodologie « Syrph the Net » (StN) a été scrupuleusement mise en place sur la tourbière des Dauges par l’équipe en charge de sa gestion.

Matériel et méthodes

L’échantillonnage des syrphes

Ce dernier a été fait d’avril à octobre sur l’ensemble de la réserve naturelle à l’aide de tentes Malaise standardisées, C’est une méthode de piégeage passive, d’interception très efficace pour les Diptères Syrphidés. La méthodologie « Syrph the Net » est principalement basée sur l’écologie des larves de syrphes, mais le caractère « casanier » des adultes volants (moins de 500 m de dispersion, sauf pour les migrateurs) permet de relier les deux stades. Comme les adultes sont principalement floricoles, c’est cette ressource trophique qui conditionne leur présence et non l’habitat.

Au cours des années 2013, 2014 et 2015, douze tentes Malaise ont été installées dans la tourbière des Dauges (quatre par an) en ciblant à chaque fois des habitats particuliers. Les tentes ont toutes été orientées au sud et disposées dans des couloirs de vol (souvent des lisières), à proximité de milieux susceptibles d’attirer des adultes (fleurs). Les coordonnées GPS de chaque tente ont été saisies. Quelques chasses à vue complémentaires ont été effectuées par filet entomologique. Les pots de chaque tente, contenant de l’alcool à 70°, ont été relevés et remplacés tous les 15 jours. Les insectes et les autres « petites bêtes » ont été minutieusement triés : syrphes, mais aussi coléoptères, arachnides, hétéroptères, … pour contribuer à l’amélioration des connaissances du site. Enfin, comme la réserve est un espace règlementé, une demande d’autorisation de capture a été formulée auprès du Comité consultatif de la réserve naturelle pour aboutir à un arrêté préfectoral. L’ensemble des données a été saisi dans SERENA (base de données naturalistes des réserves naturelles).

Description et définition des habitats

Tous les habitats de la réserve naturelle ont été décrits selon la nomenclature StN grâce au document : Base de données StN : contenu et glossaire des termes 2014 (Speight et al., 2014). Cet ouvrage permet la correspondance entre les habitats « Corine » ou « Eunis » avec des macro-habitats codés dans la base de données StN, desquels découlent des micro-habitats.

D’après la nomenclature StN, un macro-habitat équivaut à un habitat « EUNIS ». Les micro-habitats correspondent à des caractéristiques structurales identifiables des macro-habitats auxquels les stades de développement des syrphes sont associés (Speight et al., 2007). Le macro-habitat correspond à l’espace vital d’un syrphe utilisé au stade adulte alors que le micro-habitat est utilisé au stade larvaire. Une larve peut être associée à un ou plusieurs micro-habitats d’un même macro-habitat en fonction du degré de l’étroitesse de sa niche écologique.

Analyse des données : « Syrph the net » 

Sur simple demande à M.C.D. Speight (speightm@gmail.com), cette base de données centralise notamment les traits de vie des espèces en fonction des habitats que les syrphes fréquentent (définis dans Speight et Castella, 2010b) au cours de leur cycle de développement. Sous forme d’un tableur Excel StN_2010 (Speight et al., 2010), les associations habitats / espèces sont encodées en fonction de leur typicité selon les codes suivants : 0 : pas d’association ; 1 : association minimale (l’habitat est seulement utilisé de façon marginale par l’espèce) ; 2 : association moyenne (l’habitat fait partie de la gamme normale utilisée par l’espèce) ; 3 : association maximale (l’habitat est préférentiel pour l’espèce). L’avantage remarquable de cette base de données est sa réactualisation régulière, car elle se nourrit des nouvelles études locales sur les syrphes.

La liste des espèces « régionales »

Une fois la liste des habitats présents obtenue, le classeur Excel SelectionTool_2010 (Speight et al., 2010) permet de constituer une liste des espèces européennes attendues dans les macro- et les micro-habitats constitutifs du site car cet outil fonctionne de pair avec les associations espèces / habitats du classeur StN_2010. Il convient ensuite de filtrer cette première liste obtenue avec la liste des espèces régionales (départements bordiers). On obtient alors une liste régionale des espèces attendues pour les habitats du site décrit.

Cette liste s’établit grâce aux différentes publications régionales qui, il faut le dire, ne sont pas légion en Limousin. Pour pallier à ce manque, il faut se référer au site internet « Syrphid » dont la réactualisation s’est malheureusement arrêtée en 2013 et qui n’est plus accessible aujourd’hui. Un projet « Syrphid 2 » est censé voir prochainement le jour. Selon M.C.D. Speight (communication personnelle), une liste minimale de 200 espèces doit être établie afin que la méthode StN s’applique. Si les départements bordiers ne suffisent pas, il faut étendre le décompte aux départements voisins.

En comparant la liste des espèces prédites avec celle des espèces observées, on obtient trois catégories de listes (Fig. 1) :

  • Les espèces au rendez-vous, exprimées en pourcentage par rapport aux espèces prédites, décrivent l’intégrité écologique de l’habitat ou de la station étudiée selon des seuils (Tableau 1).

  • Les espèces manquantes renseignent sur le dysfonctionnement de l’habitat ou de la station étudiée.

  • Les espèces inattendues illustrent, quant à elles, souvent la qualité de définition des habitats naturels : habitats « Eunis » ou « Corine » traduits en macro-habitats, en milieux naturels ou en micro-habitats oubliés.

Figure 1 : La méthode “Syrph the Net” (d’après Claude et al., 2012).

Figure 1 : La méthode “Syrph the Net” (d’après Claude et al., 2012).

Tableau 1 : Seuils d’appréciation des différents critères(d’après Claude et al. , 2012).

Tableau 1 : Seuils d’appréciation des différents critères
(d’après Claude et al. , 2012).

Cette méthode simple se base principalement sur les connaissances poussées de la biologie des espèces de syrphes, en particulier les milieux de développement larvaire. Elle permet à la fois de synthétiser et d’analyser.

Résultats

Macro-habitats et tentes Malaise

La tourbière des Dauges est une entité complexe (Fig. 2) qui abrite un florilège substantiel de milieux naturels et qu’il a fallu traduire en macro- et en micro-habitats en fonction du document de Speight et al. (2015). Ainsi, 17 macro-habitats ont été inventoriés sur l’ensemble du site, sept milieux fermés et dix ouverts (Tableau 2). Chaque année, quatre tentes Malaise ont été disposées sur le site : en 2013, T1 et T2 sur milieu tourbeux, L1 et L2 sur lande sèche ; en 2014, BR1 et BR2 près du bois du Rocher (hêtres), BM1 et BM2 près de boisements mixtes ; en 2015, P1, P2, P3 et P4 sur des prairies au sommet du bassin versant.

Figure 2 : Les habitats EUNIS de la Réserve Naturelle de la Tourbière des Dauges et la localisation des tentes Malaise (Durepaire et al., 2015).

Figure 2 : Les habitats EUNIS de la Réserve Naturelle de la Tourbière des Dauges et la localisation des tentes Malaise (Durepaire et al., 2015).

Tableau 2 : Les macro-habitats (StN) sur la réserve naturellela tourbière des Dauges (Speight et al., 2014).

Tableau 2 : Les macro-habitats (StN) sur la réserve naturelle
la tourbière des Dauges (Speight et al., 2014).

Les listes d’espèces

En condensant les résultats obtenus sur la tourbière des Dauges et la liste des espèces récoltées par M.CD. Speight (communication personnelle) sur les départements de la Haute-Vienne, de la Creuse, de la Corrèze et du Puy-de-Dôme, on obtient une liste de 203 espèces de syrphes (Tableau 3).

Tableau 3 : Liste régionale des syrphes (Speight et Durepaire, comm. pers., 2016).

Tableau 3 : Liste régionale des syrphes (Speight et Durepaire, comm. pers., 2016).

Sur les trois années d’investigations dans la tourbière des Dauges, 2.905 syrphes ont été capturés et 115 espèces identifiées (Tableau 4). Les captures se sont étalées comme suit : 2013 (tourbière et lande) : 1027 captures ; 2014 (boisements) : 531 captures ; 2015 (prairies) : 1347 captures. Quelques captures à vue par filet entomologique ont permis le prélèvement de 105 syrphes, représentant 37 espèces. Seules quatre espèces supplémentaires (sur les 115) ont été identifiées : Microdon myrmicae, Scaeva pyrastri, Sphegina sibirica, Volucella inflata, par rapport aux captures effectuées avec les tentes. Neuf de ces espèces sont remarquables car elles sont en voie d’extinction ou en fort déclin en Europe et en France. Selon M.C.D. Speight (communication personnelle), une espèce particulière sort du lot : Chrysogaster basalis, car cet auteur ne l’a que très rarement identifiée. La biologie de cette espèce est encore méconnue, en particulier son milieu de développement larvaire.

Tableau 4 : Liste des syrphes dans la réserve naturelle de la tourbière des Dauges.

Tableau 4 : Liste des syrphes dans la réserve naturelle de la tourbière des Dauges.

Lors de cette étude, 26 espèces menacées ou en déclin à diverses échelles ont été capturées (soit 23 %). Aucune espèce n’est menacée d’extinction en Europe. Six espèces sont en fort déclin en Europe. Trois espèces sont menacées d’extinction en France. Une espèce est en fort déclin en France. La pauvreté actuelle des données en Haute-Vienne et dans les départements limitrophes rend compliquée une analyse de la valeur patrimoniale locale de cette liste.

Discussion

Commentaires généraux

A l’échelle du site, le nombre d’espèces contactées sur la réserve naturelle représente 22 % de la faune syrphidologique française. La notion d’intégrité écologique mesure la fonctionnalité de l’habitat, c’est-à-dire l’état d’altération d’un écosystème. Sur les 158 espèces attendues de la réserve naturelle, 96 sont au rendez-vous. Le niveau d’intégrité écologique du site est de 61 %, ce qui est un bon niveau. Relativisons, cependant, l’intérêt de ce chiffre qui peut être utilisé pour faire une comparaison entre les sites (l’intégrité écologique de la réserve naturelle du Lac de Remoray est de 74 %, ...). L’intérêt de la méthode réside surtout dans l’établissement de diagnostics au niveau des habitats.

Légitimité de l’analyse StN

Le pourcentage des espèces inattendues est faible (16 %), ce qui est l’illustration d’une bonne description des habitats dans le site et le bien-fondé de cette analyse ici. Parmi ces espèces, une seule est migratrice : (Helophilus trivittatus) et a pu être piégée ici par ce comportement. On peut aussi expliquer la présence imprévue de ces espèces par l’imprécision de la description de l’habitat StN des larves, l’influence des milieux environnants, ou encore par des lacunes dans la connaissance de certaines espèces de syrphes (Chrysogaster basalis, Eristalis picea).

La majorité de ces espèces ont un caractère forestier dont dix strictement. Sept d’entre elles se complaisent au sein de forêts alluviales. En effet, dans quelques entités forestières (hêtraie) sur la réserve naturelle, il y a de l’eau en surface et des écoulements temporaires sur une partie de l’année. On rencontre aussi quelques boulaies et quelques saulaies que des écoulements ou le ruisseau des Dauges traversent. Ces éléments, ainsi qu’une hygrométrie quasi-permanente sur ce site peuvent expliquer ici la présence de ces insectes.

Concernant les espèces des milieux ouverts, quatre d’entre elles côtoient l’eau (lac, rivière, plaine inondable, marécage). Le caractère fortement humide de la tourbière explique vraisemblablement leur présence ici. La larve d’Eumerus sabulonum se développe grâce à la Jasione des montagnes (Jasione montana) et celle de Cheilosia cynocephala dans le Chardon crépu (Carduus crispus) deux plantes qui sont présentes sur les Dauges. Quant aux trois autres espèces (Pipiza autriaca, P. lugubris, Xanthogramma citrofasciatum), elles préfèrent les milieux ouverts bien drainés, pouvant correspondre aux prairies de pente.

Diagnostics écologiques différenciés dans les milieux fermés

L’intégrité écologique des milieux forestiers dans les Dauges (Tableau 5) est bonne (60 %) avec 109 espèces prédites et 65 qui sont au rendez-vous.

Tableau 5 : Intégrité écologique des milieux forestiers.

Tableau 5 : Intégrité écologique des milieux forestiers.

La hêtraie

Cette hêtraie de 25 hectares, qui semble intéressante d’un point de vue paysager « naturaliste » (elle n’a pas subi de grosses coupes récentes), devrait accueillir 69 espèces de syrphes. Or, 27 d’entre elles manquent à l’appel. La majeure partie de cette guilde voit ses larves se développer au sein de végétaux. En termes de déficit dans les milieux de développement larvaire pour d’importants contingents d’espèces, on peut mettre en exergue deux éléments :

  • Huit espèces (Brachypalpoides lentus, Callicera aurata, Ceriana conopsoides, Criorhina ranunculi, Sphegina clunipes, S. elegans, S. verecunda, Temnostoma bombylans), dont les larves sont microphages saproxyliques, traduisent un déficit lié aux arbres sénescents et, dans une moindre importance, au gros bois mort au sol (contrairement au bois mort debout). Une partie des larves liées aux caries, aux dégâts d’insectes, aux coulées de sève ou aux lésions sont également manquantes. Ce manque de maturité est corroboré par le Protocole forêt de Réserves Naturelles de France (PSDRF) qui a été mis en œuvre sur cette hêtraie et qui fait état d’un déficit en gros vieux arbres et en micro-habitats associés. L’intégrité écologique de la hêtraie sénescente n’est ici que de 58 % alors que celle de la hêtraie jeune est de 87 % !

  • Dix-neuf espèces sont également absentes alors qu’elles sont, habituellement, en étroite relation avec la végétation herbacée, la litière herbacée, dans les plantes de cette litière, dans leurs feuilles ou leurs tiges, dans la zone racinaire de ces plantes ou dans les bulbes et tubercules. Par leur absence, ces 19 espèces semblent traduire principalement un déficit de litière (forestière). Plusieurs espèces phytophages vivant dans les plantes de la litière herbacée ne peuvent donc être présentes (Cheilosia albipila, C. albitarsis, C. flavipes, C. lenis, C. proxima, C. scutellata, C. vulpina, Eumerus ornatus et E. strigatus). Ce phénomène est lié à la configuration de la hêtraie qui est pentue (donc drainante), ce qui limite la présence de micro-habitats d’accumulation de matière organique. En témoigne l’absence de Chrysogaster solstitialis, Melanostoma mellarium, Sphaerophoria batava, S.taeniata et Sphegina varifacies. Dans une moindre mesure, ce facteur limitant a également un impact sur la régénération et les essences d’accompagnement dans le sous-étage. Il est aidé par la densité du peuplement qui réduit la luminosité au sol. L’absence de Dasysyrphus venustus, de Didea fasciata, d’Epistrophe eligans, d’E. melanostoma et de Neocnemodon pubescens en est symptomatique. En ce qui concerne les larves avec un développement aquatique, les espèces laissées pour compte sont celles qui dépendent des sols saturés en eau et des débris végétaux détrempés. Encore une fois, la configuration de la hêtraie du bois du Rocher, assez pentue, limite en grande partie la stagnation de l’eau.

Les hêtraies acidiphiles atlantiques à houx et les chênaies-hêtraies acidiphiles à houx, rencontrées dans la tourbière des Dauges, relèvent toutes les deux de la même association phytosociologique : Teucrio scorodoniae-Fagetum sylvaticae Billy, ex-Renaux, Le Hénaff, Choisnet et Seytre, 2015. Celle-ci est rattachée à la sous-alliance de l’Ilici aquifolii-Quercenion petraeae Rameau in Bardat et al., 2004. Ces forêts sont naturellement très pauvres en espèces herbacées en raison du substrat très acide (granite) sur lesquelles elles se développent (Teucrium scorodonia, Vaccinium myrtillus, Avenella flexuosa, Melampyrum pratense, …). L’analyse de 147 relevés phytosociologiques réalisés lors de l’élaboration du catalogue des végétations du PNR de Millevaches (Chabrol et Reimringer, 2011) montre une moyenne de 13 espèces par relevé, calculée dans les hêtraies et les chênaies acidiphiles. La plupart des espèces herbacées, hôtes de larves de Syrphidae, manquent donc naturellement dans ce type d’habitat. Il faudrait distinguer dans le protocole « Syrph the Net » les hêtraies-chênaies acidiphiles des hêtraies-chênaies acidi-clinophiles ou neutro-clinophiles. Ces dernières ont une diversité d’espèces végétales sans commune mesure avec les boisements acidiphiles, qui a été évaluée à plus de 30 espèces par relevé. Les espèces végétales hôtes de larves de syrphes sont donc naturellement plus diversifiées dans ces forêts et, en corollaire, la diversité des espèces de Syrphidés est également plus importante. Fort de ces constats, on peut ainsi faire passer l’intégrité écologique de la hêtraie des Dauges de bonne à très bonne.

La chênaie

Concernant la chênaie acidophile, également largement représentée sur ce site, son intégrité écologique est de 66 %, ce qui est un bon résultat, mais certaines carences existent. C’est le même combat que pour la hêtraie, mais avec un déficit lié à la vieillesse de la forêt (64 % d’intégrité écologique), ce qui est en Limousin le résultat d’une déprise agricole de l’après-deuxième guerre mondiale. La forêt est ici jeune (74 % d’intégrité écologique) et dense : les arbres luttent par une croissance verticale et non pas horizontale, limitant, de ce fait, les cavités, trouées et les autres caries. En revanche, peu d’espèces saproxyliques manquent à l’appel : cinq sur 25, à savoir Brachypalpoides lentus, Ceriana conopsoides, Criorhina ranunculi, Milesia crabroniformis et Myolepta dubia. Les notes obtenues pour les syrphes du bois mort sont très bonnes à excellentes (100 %, par exemple, pour le bois mort debout).

Les espèces de syrphes, dont les larves sont inféodées aux herbacées de ces forêts (20 espèces), manquent ici cruellement : c’est donc le même constat et la même conclusion que pour la hêtraie.

Les résineux

La forêt de Pin sylvestre a été prise en compte dans cette analyse, malgré le fait qu’elle n’existe pas sur ce site, alors que cette essence y est présente : les plants sont, en effet, dispersés, mais présents. Une dizaine d’espèces de syrphes manquent, car elles sont liées aux arbres mâtures et de sous-étage. En revanche, les espèces liées aux arbres sénescents se portent plutôt bien, avec cinq espèces présentes sur six, en accord avec les gros fûts qui sont régulièrement présents dans les chênaies ou dans les landes sèches laissées à l’abandon.

Concernant les espèces liées aux autres résineux avec 59 % d’intégrité écologique (Abies, Larix ou Picea), Sphegina clunipes et Xylota jakutorum indiquent clairement un manque de sénescence et de bois mort. Par contre, neuf espèces (Dasysyrphus venustus, Didea alneti, D. fasciata, Epistrophe eligans, Neocnemodon pubescens, N. vitripennis, Parasyrphus annulatus, P. lineolus et P. macularis) indiquent, par leur absence, des carences dans la strate arbustive (mature) et du sous-étage. Ce constat est symptomatique des peuplements réguliers.

La boulaie et la châtaigneraie

Ces 2 entités sont « en pleine forme » avec respectivement 75 % et 76 % d’intégrité écologique. Les châtaigneraies sont bien présentes sur le versant sud du bassin versant avec régulièrement de gros fûts : chaque famille se devait jadis de posséder et chérir son verger de châtaigniers pour la nourriture hivernale.

Diagnostics écologiques différenciés dans les milieux ouverts

Cet ensemble regroupe 11 macro-habitats. Son intégrité écologique de 67 % est considérée bonne (entre 51 et 75 %) et est même meilleure que celle des habitats forestiers qui culmine à 60 %.

Au total, 82 espèces de syrphes étaient prédites et 55 étaient effectivement au rendez-vous. Les résultats d’ensemble oscillent de bons à très bons (Tableau 6).

Tableau 6 : Intégrité écologique des milieux ouverts.

Tableau 6 : Intégrité écologique des milieux ouverts.

Prairies et pelouses acidophiles non améliorées de montagne

Elles obtiennent le pourcentage d’intégrité écologique le plus faible : 65 %, ce qui reste un bon résultat. Cet habitat englobe les gazons à Nard raide, des prairies à Agrostis et Festuca, des pelouses à Canche flexueuse (ces habitats sont présents sur les Dauges), mais également des gazons à nard et des pelouses thermophiles siliceuses subalpines que l’on rencontre dans les Alpes, les Pyrénées ou lesVosges et qui abritent nombre de plantes qui ne sont pas présentes sur le site des Dauges. Les 13 espèces, que l’on ne retrouve pas sur les Dauges, sont intimement liées à la litière herbacée et les plantes de cette litière, qui sont des entités pourtant présentes sur les prairies « maigres de fauche » des Dauges. En étudiant les caractéristiques des 13 espèces manquantes, on s’aperçoit que la majorité d’entre elles sont recensées à une altitude souvent plus importante que les 570 m de la tourbière des Dauges. Quatre espèces ont été notées au Puy-de-Dôme : Cheilosia caerulescens, C. faucis, C. impressa et C. lenis. Quatre autres ont été listées en Corrèze : Eristalis rupium, Platycheirus angustipes, P. manicatus et Sphaerophoria interrupta. Ce biais méthodologique est sûrement issu de la pauvreté des données constituant la liste régionale, car on a dû recourir à des espèces du Puy-de-Dôme ou du plateau des Millevaches pour arriver aux 200 espèces requises pour la méthode StN.

Tourbière haute

Huit espèces y ont été trouvées sur les 12 requises si bien que l’intégrité écologique de ce milieu est bonne. Une espèce manquante (Sphaerophoria philantha) n’est pas adaptée pour supporter l’inondation. Les autres espèces y sont tolérantes, mais faiblement car leurs larves possèdent des tubes respiratoires courts. L’apport d’eau souterrain (tourbière « géogène ») prégnant sur la tourbière des Dauges doit provoquer des battements de nappe vraisemblablement limitants pour ces espèces.

Bas marais acide

Cinq espèces seulement manquent, ce qui indique une bonne intégrité écologique (71 %). La larve de Chrysotoxum fasciatum est faiblement tolérante à l’inondation. Deux autres espèces (Sericomyia lappona et Eristalis cryptarum) y sont particulièrement tolérantes, mais elles sont très menacées et sont rares en France (niveau 3). Eristalis intricaria et Platycheirus angustipes auraient dû être trouvées sur les Dauges et sont à rechercher.

Autres milieux ouverts

Enfin, il faut remarquer que les autres milieux naturels ouverts, qui ont fait l’objet de travaux conséquents de restauration et d’entretien depuis 2000 par le CEN Limousin : landes sèches et tourbeuses, tourbière, saulaie, ont un niveau d’intégrité écologique plus que satisfaisant, et cette dernière est bonne pour la majorité d’entre eux.

Conclusion

Cette étude a permis de lister 115 espèces de syrphes sur la réserve naturelle de la tourbière des Dauges. Cette contribution est un premier pas vers la constitution d’une liste de ces diptères pour la Haute-Vienne. L’utilisation de la méthode StN (« Syrph the Net »), créée par M.C.D. Speight, permet de réaliser des diagnostics précis sur l’état d’altération des milieux naturels étudiés. L’analyse réalisée sur ce site fait apparaître les résultats suivants. Tout d’abord, l’intégrité écologique des milieux naturels de la réserve naturelle est de 61 % et peut être considérée comme bonne (entre 51 % et 75 %). Deuxièmement, les milieux forestiers (environ les trois-quarts de la réserve) ont une intégrité écologique de 60 %. Les grandes entités, que représentent la hêtraie et la chênaie, présentent clairement des déficits liés au stade sénescent de la forêt et des micro-habitats qu’il induit. Les habitats forestiers des Dauges sont encore trop jeunes pour abriter de telles espèces, car ils sont issus de l’abandon agricole des années 1960 et il faut donc impérativement veiller à conserver de nombreux îlots de vieillissement. La châtaigneraie et la boulaie sont, quant à elles, ici en pleine santé. Enfin, les milieux ouverts ont une intégrité écologique de 67 %, plus importante que celle des milieux forestiers. Dans l’ensemble, l’état de conservation varie de bon à très bon. Quelques individus manquent toutefois au sein des zones humides, à savoir celles qui sont faiblement tolérantes à l’inondation. Le système d’approvisionnement en eau de la tourbière, en majorité souterrain, provoque vraisemblablement des battements de nappe trop conséquents pour ces espèces. Il est heureux de constater que les travaux de restauration des milieux ouverts entrepris sur ce site par le CEN Limousin depuis plus de 15 ans, sont opportuns.

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DUREPAIRE, P. (2018). Diagnostic écologique des habitats dans la Réserve Naturelle de la Tourbière des Dauges (Haute-Vienne) par la méthode « Syrph the Net ». Annales Scientifiques du Limousin, (27). https://doi.org/10.25965/asl.827

Auteur
Philippe DUREPAIRE
Conservatoire d’espaces naturels du Limousin, Réserve Naturelle Nationale de la Tourbière des Dauges, Sauvagnac, 87340 Saint-Léger-la-Montagne.Tél : 05.55.39.80.20
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CC BY-NC-ND 4.0

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