Destruction de Galba truncatula ou sauvegarde du mollusque : que faut-il faire sur les sols acides de la Haute-Vienne ? Destruction of Galba truncatula or conservation of the mollusc: what should be done on the acidic soils of Haute Vienne?

Daniel RONDELAUD ,
Philippe VIGNOLES 
Gilles DREYFUSS 

Faut-il éliminer la Limnée tronquée dans les prairies marécageuses de la Haute-Vienne comme le demandent les éleveurs de bovins ou d'ovins, ou encore faut-il sauvegarder le mollusque comme le réclament certains défenseurs de la biodiversité animale ? Pour résoudre ce dilemme, les auteurs ont rappelé dans un premier temps les tentatives qui ont été effectuées pour contrôler le mollusque depuis les années 1970 dans le département et se sont ensuite interrogés sur la situation actuelle en suggérant une troisième voie possible. En raison de la localisation de nombreux habitats de la limnée à la périphérie du réseau d'évacuation de l'eau pluviale dans les prairies, de leur nombre qui diminue avec le réchauffement climatique et de leur faible superficie, l'isolement de tous les sites colonisés par le mollusque semble être la meilleure solution. Cette méthode peut s'appliquer aux sols acides comme ceux du Limousin car 99,8 % des habitats de la Limnée tronquée ne sont colonisés que par cette espèce. Par contre, dans les régions sédimentaires, cette technique est plus difficile à utiliser car les habitats plus étendus sont souvent colonisés par d'autres espèces de pulmonés dulçaquicoles en plus de Galba truncatula.

Should we eliminate the dwarf pond snail in the marshy meadows of the Haute Vienne department as requested by cattle or sheep farmers, or should we save the mollusc as demanded by some defenders of animal biodiversity? To solve this dilemma, the authors first recalled the trials that have been made to control the snail since the 1970s in the department and then questioned the current situation by suggesting a possible third way. Because of the location of many snail habitats on the periphery of the stormwater drainage system in the meadows, their number that decreases with global warming and their small area, isolation of all sites colonized by snails seems to be the best solution. This method can be applied to acidic soils such as those of Limousin because 99.8 % of the Galba truncatula habitats are colonized only by this species. However, in sedimentary regions, this technique is more difficult to use because larger habitats are often colonized by other species of freshwater pulmonate snails in addition to G. truncatula.

Sommaire
Texte intégral

1. Introduction

La distomatose à Fasciola hepatica est bien connue dans le public sous le nom de "maladie de la Grande Douve du foie". La maladie causée par ce parasite a également été appelée "fasciolose" par extrapolation à partir du nom de ce ver. Des cas de fasciolose touchant l'homme ou les ruminants domestiques ont été signalés à de nombreuses reprises en France au cours des siècles passés (Taylor, 1965). Le cycle biologique de cette douve est assez complexe car deux hôtes sont nécessaires pour qu'il s'accomplisse. L'hôte définitif (les bovins, par exemple) héberge la forme adulte de ce ver dans leur foie. Les oeufs émis dans le milieu extérieur donnent naissance à des larves (miracidiums) qui infestent un hôte intermédiaire (un mollusque d'eau douce) dans lequel plusieurs stades larvaires du parasite se succèdent et aboutissent à des larves (cercaires) qui sortent de mollusque et formeront de futurs adultes si elles sont ingérées avec la végétation par l'hôte définitif (Andrews et al., 2022). Les professionnels de la santé animale et les éleveurs de bovins ou d'ovins sont largement au courant des diverses étapes du cycle biologique ainsi que de sa dynamique.

Sur les sols acides du Limousin, Galba truncatula, connue depuis longtemps sous le nom de Limnée tronquée et plus récemment sous celui de Limnée épaulée, est le mollusque hôte principal qui assure la multiplication des formes larvaires du parasite (Rondelaud et al., 2009). Une autre limnée, Omphiscola glabra, connue aussi sous le nom de Limnée étroite, peut être également un mollusque hôte mais son rôle est mineur car elle doit le plus souvent être co-infestée par les miracidiums de F. hepatica et ceux d'un autre parasite, Calicophoron daubneyi, connu aussi comme la douve de la panse des ruminants (Vignoles et al., 2017). Malgré la baisse constatée dans le nombre des populations de chaque mollusque en raison du réchauffement climatique (Rondelaud et al., 2020, 2022 ; Vignoles et al., 2022), les deux espèces sont encore présentes dans les mêmes prairies sur sol acide mais leurs habitats sur le réseau de drainage superficiel de chaque pâture ou sur le réseau d'évacuation de l'eau pluviale ne sont pas les mêmes. D'après Vareille-Morel et al. (1999), les habitats de G. truncatula se situent le plus souvent à l'extrémité amont des rigoles de drainage tandis que ceux d'O. glabra sont plus en aval sur le cours même de ces rigoles. Les habitats communs colonisés par les deux espèces sont assez rares dans la région considérée (Vignoles et al., 2017).

En 1969, une épizootie de fasciolose a entraîné la mort de 250.000 moutons et d’une cinquantaine de bovins dans le sud de la Vienne et le nord de la Haute-Vienne (Duret, 1969). L'ampleur de cette distomatose et les conséquences économiques ont été telles qu’elles ont conduit les éleveurs locaux, les élus, les professionnels de la santé humaine ou animale et les chercheurs universitaires à la réalisation d'une étude épidémiologique sur cette maladie (Vignoles et al., 2019). Parmi les thèmes abordés, la recherche d'une méthode pour contrôler ou détruire les populations de G. truncatula a été fortement soutenue par les éleveurs. A cette époque, ces derniers accusaient le mollusque d'être responsable de cette épizootie et cette véhémence à l'égard de G. truncatula a persisté jusqu'au début des années 1990 (Rondelaud, observation personnelle). Cette animosité a également été constatée à plusieurs reprises entre 1995 et le début des années 2000 lorsque des éleveurs se sont inquiétés devant de nombreux cas de distomatose à C. daubneyi chez les bovins de la même région (G. truncatula est aussi le mollusque hôte de ce parasite).

Depuis 2006, la situation a beaucoup changé et certains citoyens lambda n'hésitent pas à prendre la défense des mollusques et des limnées en particulier en prônant leur sauvegarde dans le cadre d'une protection de la biodiversité face au réchauffement climatique. Les tensions sont parfois vives sur le terrain et il est alors difficile d'établir un dialogue constructif avec ces personnes. Devant ce type d'incident, la question s'est vite posée de savoir si les populations locales de G. truncatula pouvaient encore être soumises à un contrôle comme le demandent les éleveurs ou, à l'inverse, être protégées en procédant, par exemple, à des introductions ou des réintroductions de limnées dans des habitats situés à l'extérieur des prairies permanentes dans lesquelles les bovins ou les ovins pâturent.

Le but de cette synthèse est de démontrer que sur les sols acides du Limousin, la coexistence des ruminants domestiques et des mollusques est possible en procédant simplement à l'isolement des habitats occupés par la Limnée tronquée dans les pâtures. Pour ce faire, nous avons procédé à une étude rétrospective des moyens que les éleveurs de la Haute-Vienne ont utilisés pour contrôler G. truncatula dans leurs prairies depuis la survenue de l'épizootie de fasciolose en 1969.

2. Les premières tentatives pour contrôler le mollusque

2.1. Le début des années 1970

A notre connaissance, aucun contrôle de la Limnée tronquée n'avait été pratiqué sur le terrain avant la survenue de l'épizootie de fasciolose dans le sud de la Vienne et le nord de la Haute-Vienne. Les éleveurs locaux se sont donc trouvés devant un problème à résoudre et ont utilisé plusieurs voies pour détruire le mollusque sur leurs pâtures.

Dans les années 1970, la voie chimique était privilégiée par la communauté scientifique pour lutter contre les mollusques qui interviennent comme hôtes intermédiaires dans la transmission de la fasciolose (Ross et al., 1970 ; Ollerenshaw, 1971 ; Crossland, 1976). Deux exploitants ont utilisé la N-tritylmorpholine (Frescon®) sur les prairies de leurs fermes, respectivement, en 1969 sur la commune de Lathus-Saint-Rémy (Vienne) et en 1970 sur celle de Val-d'Oise-et-Gartempe (Haute-Vienne). Les essais ne furent pas concluants. Dans les deux cas, des mollusques ont survécu à l'épandage du molluscicide appliqué au printemps. D'après les observations des deux fermiers, le noircissement de la végétation traitée et, par suite, la disparition d'une partie de celle-ci dans les habitats de la limnée pendant plusieurs mois ont entraîné l'abandon de ce produit.

Deux autres types de contrôle ont été pratiqués dans d'autres fermes de la Haute-Vienne. Comme le chaulage des prairies était encore fréquent dans les prairies sur sol acide dans les années 1970, un éleveur de Blanzac pratiqua un épandage de chaux vive au printemps sur les habitats du mollusque dans deux prairies. Les résultats ne furent guère convaincants. En effet, l'apport de calcium fut utilisé par les survivants pour construire leur coquille si bien que la hauteur des mollusques adultes atteignait 11 à 12 mm sur ce site au lieu des 8 à 9 mm constatés dans les prairies des fermes voisines (Rondelaud, observation personnelle). Un autre fermier sur la commune de Berneuil utilisa en 1971 des canards domestiques dans une prairie attenant à un étang pour détruire la Limnée tronquée. En effet, plusieurs articles avaient déjà signalé l’action malacophage de ces palmipèdes dans les habitats où vivent des mollusques amphibies ou aquatiques (Taylor, 1965 ; Samson et Wilson, 1973). D'après ces auteurs, si ces oiseaux sont présents dans une prairie, le nombre d’escargots diminue fortement. Comme les canards ont surtout fréquenté l'étang et la zone hygrophile proche de celui-ci, les résultats ne furent guère probants. Si les limnées (Radix balthica) et les physes (Physella acuta) présentes dans cette pièce d'eau avaient disparu au bout de six mois, G. truncatula était encore présent en 1972 dans les habitats situés dans la zone mésophile de la prairie (Rondelaud, observation personnelle).

Les nombreuses discussions de l'équipe avec les éleveurs des années 1970 n'ont pas montré l'utilisation de plantes possédant une activité molluscicide (Rondelaud et al., 2023) comme les feuilles de noyer (Juglans regia) dans les habitats de la Limnée tronquée en Vienne et Haute-Vienne.

2.2. La période 1975-1990

Devant les premiers résultats que ces éleveurs ont obtenus dans le contrôle de G. truncatula, il était utile de trouver une technique qui permette de réduire les effectifs de ce mollusque dans ses habitats locaux, voire d'éliminer les populations de ce dernier si cela est possible. A cet égard, l'emploi d'un agent biologique capable d'effectuer une prédation ou une compétition avec G. truncatula semblait intéressant si bien que de nombreuses recherches sur le terrain ou en laboratoire ont été effectuées entre 1973 et 1980 pour détecter l'agent idéal (Rondelaud, 1976, 1977, 1978, 1979). La découverte fortuite en 1974 d'un mollusque Zonitidé : la Luisantine des marais (Zonitoides nitidus), en train de consommer des Limnées tronquées dans une rigole de drainage superficiel en assèchement (Rondelaud, 1975) est à l'origine de trois techniques pour contrôler cette limnée sur sol acide (Rondelaud et al., 2006). La présence de ces Z. nitidus locaux nous a permis d''utiliser cette espèce comme moyen de lutte biologique en évitant les dégâts qui peuvent résulter lors de l'introduction d'un mollusque prédateur dans un écosystème différent de son milieu de vie habituel comme ce fut le cas pour Euglandina rosea dans les territoires français du Pacifique (Tillier et Clarke, 1983 ; Bouchet, 1990).

Trois techniques de lutte, utilisant Z. nitidus seul, une association de Zonitidés (Z. nitidus + Oxychilus draparnaudi), ou l'application d'un molluscicide à dose sublétale sur les gîtes de G. truncatula trois mois avant l'introduction de Z. nitidus en juin, ont été successivement utilisées sur les prairies naturelles de 12 fermes dans le nord de la Haute-Vienne (Ximenes et al., 1992, 1993). Le tableau 1 indique, à titre d'exemple, les taux de survie de G. truncatula en septembre dans trois types d’habitat après 1, 2, 3 et 4 ans de contrôle avec des Z. nitidus. Le fauchage de la végétation hygrophile en juin et son dépôt sur les habitats de la limnée permettent le maintien de l'humidité relative sous la couverture végétale et, par suite, prolongent l'activité prédatrice de Z. nitidus sur les limnées pendant plusieurs jours. Cette action a entraîné l’élimination de G. truncatula après deux ans de contrôle dans les habitats situés dans des rigoles de drainage et à proximité de sources temporaires. En revanche, autour de la source permanente, il n’y a eu qu’une diminution progressive du nombre de G. truncatula au cours des quatre années de contrôle (Rondelaud et al., 2006, 2009).

Le contrôle biologique de G. truncatula par prédation n'a suscité guère d'intérêt chez les éleveurs locaux. Deux facteurs peuvent expliquer cet état de fait : a) l'introduction de Z. nitidus dans les habitats de G. truncatula doit être réalisée pendant plusieurs années pour que le contrôle soit efficace ; b) la complexité de la technique pour déterminer le moment où cette introduction doit avoir lieu, car le prédateur fuit le milieu lorsque la pluviométrie en juin est trop élevée (Rondelaud et al., 2006). La production commerciale de Z. nitidus n'a pas abouti car les industriels ont jugé que ce marché était trop étroit.

2.3. La période 1991-2006

Aucun contrôle n'a été effectué sur les populations locales de G. truncatula au cours de cette période. Par contre, plusieurs mesures ont été prises pour améliorer l'aménagement des prairies dans lesquelles les ruminants pâturent, ce qui s'est traduit par des effets indirects sur les populations du mollusque (Rondelaud et al., 2009). Les plus importantes de ces mesures sont au nombre de quatre : a) le développement du drainage souterrain dans les zones marécageuses des pâtures (237 prairies sur les 776 suivies entre 2000 et 2008), b) l'installation de réservoirs mobiles ou non pour l'abreuvage des animaux (568 prairies), c) la destruction de nombreuses jonchaies de pente par gyrobroyage répété de la végétation (175 jonchaies traitées par ce moyen) et d) l'isolement d'un certain nombre d'habitats colonisés par la limnée du reste de la prairie (297 habitats) (Rondelaud et al., 2009, 2023).

Le tableau 2 montre la distribution des 297 sites isolés par une haie, une clôture électrique ou un autre moyen par rapport aux différents types d'habitats. Le nombre de sites isolés du reste de la prairie varie selon le type d'habitat. Le pourcentage le plus élevé concerne les zones piétinées (48,5 %), suivi par celui des mares (27,8 %) et des étangs (23 %). A l'inverse, les nombres d'habitats isolés dans les rigoles de drainage dépourvues de source et autour des jonchaies avec une source temporaire sont faibles : 0,6 % et 6 %, respectivement, malgré le nombre élevé de ces habitats (4358 et 797). Il faut noter le pourcentage des habitats isolés (18,1 %) dans les rigoles de drainage superficiel avec une source permanente car la quasi-totalité de ces sources sont également peuplées par du cresson sauvage (Nasturtium officinale).

L'isolement des habitats colonisés par G. truncatula du reste des prairies où les ruminants domestiques pâturent peut être l'une des voies pour sauvegarder le mollusque et empêcher sa disparition face au réchauffement climatique.

3. La situation actuelle

3.1. Le déclin local de Galba truncatula

Selon le Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris (2003-2023), il n'y a pas de menace directe sur l'avenir des populations de ce mollusque en France. Cependant, lors d'investigations réalisées en 2013-2014 sur les sols acides du Limousin et en 2016-2017 sur des terrains sédimentaires de Charente, de Corrèze et de l'Indre, notre équipe a noté une diminution dans le nombre des populations du mollusque par rapport à des relevés effectués dans les mêmes fermes entre 1976 et 1997 (Dreyfuss et al., 2016a, b, 2018). Plusieurs facteurs pouvaient alors expliquer ce déclin et l'hypothèse privilégiée à l'époque a été d'imputer cette diminution aux mesures que les éleveurs avaient prises pour aménager leurs pâtures. En effet, le développement du drainage souterrain et la destruction de nombreuses jonchaies, en particulier sur les sols acides, ont entraîné la destruction de nombreux habitats du mollusque et, par suite, la disparition de celui-ci. Une autre série de relevés effectuée en 2020-2021 dans des fermes sur les deux types de sols (Vignoles et al., 2022) a permis de confirmer ces premiers résultats. La chute dans le nombre des populations sur les sols acides entre 2013-2014 et 2020-2021 était significativement plus importante que celle relevée avant 2013-2014. Le même type de résultat a également été noté sur les terrains sédimentaires de l'Indre si bien que Vignoles et al. (2022) ont considéré ce résultat comme une conséquence du réchauffement climatique.

Le tableau 3 illustre les résultats précités en présentant les valeurs de trois paramètres en rapport avec les populations de G. truncatula lors des investigations effectuées entre 1976 et 1997, en 2013-2014 et en 2020-2021. Ces données proviennent de 39 fermes élevant des bovins dans le nord de la Haute-Vienne. La superficie des habitats colonisés par la Limnée tronquée ne présente pas de variation significative entre les trois séries de relevés. Par contre, le nombre des populations et l'abondance des individus transhivernants dans chaque population montrent une diminution progressive depuis la série des premiers relevés et cette chute des deux paramètres est plus marquée en 2020-2021 que lors des investigations de 2013-2014.

En plus de ces résultats, une observation particulière a été notée. Entre les investigations de 2013-2014 et celles de 2020-2021, quatre populations de G. truncatula s'étaient déplacées de l'extrémité amont de la rigole de drainage (leur habitat usuel) vers l'aval de celle-ci alors que les O. glabra (l'espèce était présente dans deux cas) n'avaient pas changé de place sur le cours de la rigole. Ce fait n'a pas reçu d'explication satisfaisante.

3.2. Proposition d'une solution

Le tableau 4 a été construit à partir des données provenant des 39 fermes élevant des bovins citées sur le tableau 3. Si l'on considère le nombre d'habitats avec G. truncatula par prairie, on note que ce chiffre diminue entre les trois séries d'investigations : de 4,1 habitats avant 1998 à 1,6 en 2020-2021. La même remarque peut être formulée pour la superficie occupée par les sites avec G. truncatula dans chaque hectare de prairie marécageuse : de 1,4 site par ha avant 1998 à 0,09 site en 2020-2021.

Le nombre d'habitats colonisés par la Limnée tronquée présente donc un net recul depuis la première série d'observations réalisée entre 1976 et 1997. De plus, cette espèce présente d'autres autres caractéristiques intéressantes : a) la localisation de 87 % des habitats occupés par G. truncatula à l'extrémité amont du réseau d'évacuation de l'eau pluviale dans les prairies sur sols acides (Rondelaud et al., 2009), et b) la faible superficie des habitats (Tableau 3). Devant ces données, il nous a semblé opportun de proposer l'isolement complet de tous les sites colonisés par le mollusque dans les prairies si bien que les bovins ou les ovins n'aient plus accès à ces zones et, par suite, ne se contaminent plus en broutant la végétation qui y pousse.

L'isolement des habitats du mollusque est facile dans le cas des prairies pâturées par les ovins car une simple clôture électrique placée à 1 m ou 1,5 m des limites de la zone colonisée par la limnée suffit pour effectuer cette exclusion du reste de la prairie. De plus, ce type de clôture peut facilement être mis en place sur une autre prairie lorsque l'éleveur effectue un transfert de ses ruminants dans une nouvelle parcelle. Le problème est tout autre dans les zones pacagées par les bovins car une clôture constituée de poteaux reliés entre eux par du grillage ou des barbelés est le plus souvent nécessaire pour contenir ces animaux. Ces données s'appuient sur les observations que l'un d'entre nous a effectuées pendant les 50 dernières années dans le nord de la Haute-Vienne et sur la pratique que nous avons acquise dans l'isolement des habitats occupés par les limnées au cours d'études sur le terrain (Vignoles et al., 2016 ; Rondelaud et al., 2017 ; Dreyfuss et al., 2021).

4. Discussion

L'isolement des habitats occupés par G. truncatula dans les prairies n'est pas un procédé nouveau. Plusieurs auteurs comme Mehl (1932) en Allemagne et Taylor (1965) en Grande-Bretagne ont déjà préconisé cette méthode pour limiter la transmission de la fasciolose dans les prairies où les ruminants domestiques pâturent. Cependant cet isolement ne peut pas s'appliquer à tous les sites colonisés par la Limnée tronquée. Sur les sols acides dans le nord de la Haute-Vienne, cette méthode est appropriée en raison du relief qui est le plus souvent constitué de cuvettes de quelques centaines de mètres, aux contours multilobés, et qui sont séparées entre elles par des collines convexes (Valadas et Allée, 2000). A l'inverse, cette méthode est plus difficile à utiliser dans les régions sédimentaires entourant la Haute-Vienne comme la Charente ou l'Indre car les habitats sont nettement plus étendus (Rondelaud et al., 2009) et sont souvent colonisés par d'autres espèces de gastéropodes pulmonés dulçaquicoles en plus de G. truncatula.

Cet isolement aura aussi un impact sur le taux d'infestation des limnées par F. hepatica en empêchant les bovins ou aux ovins d'accéder aux zones clôturées. Une étude expérimentale a déjà été réalisée dans le nord de la Haute-Vienne en clôturant les sept habitats colonisés par une autre limnée, O. glabra, dans deux fermes et en suivant la prévalence de l'infestation par F. hepatica chez les bovins d'une part (ceux-ci ont été traités pendant les quatre années de l'expérience pour les déparasiter) et sur les limnées d'autre part (Vignoles et al., 2016). Les résultats ont été comparés avec ceux d'une ferme témoin soumise au même protocole pour les bovins mais dans laquelle les habitats n'avaient pas été clôturés. L’isolement des habitats d’O. glabra dans les deux fermes expérimentales s’est traduit par une chute dans la prévalence de l'infestation naturelle au cours de la deuxième année et par la disparition des formes larvaires de F. hepatica chez les limnées lors des troisième et quatrième années. Par contre, dans la ferme témoin, la prévalence de l'infestation naturelle chez les O. glabra a diminué progressivement au cours des années (Vignoles et al., 2016).

A l'heure actuelle, aucune personne ne peut dire si l'isolement des habitats colonisés par la Limnée tronquée dans les prairies marécageuses sera suffisant pour assurer la survie du mollusque face au réchauffement climatique. De même, les changements qui interviendront dans le comportement de G. truncatula lors de périodes d'assèchement plus nombreuses et plus longues sont difficiles à prévoir. Un aperçu sur ces changements à venir nous est fourni par l'étude que Belfaiza et al. (2008, 2009) ont effectuée sur les populations de G. truncatula sous un climat semi-aride, où le dessèchement des habitats de la limnée est plus rapide qu'en zone tempérée. D'après ces auteurs, 75,5 % des limnées survivantes étaient totalement enfouies et 24,4 % partiellement enterrées dans les échantillons de sol asséché qu'ils ont étudiés. Parmi ces limnées, les pré-adultes (2-4 mm de hauteur) et les adultes représentaient, respectivement, 45,3 % et 38,6 % de l'effectif (Belfaiza et al., 2008, 2009) alors que dans les zones tempérées, seuls les très jeunes individus (< 2 mm de hauteur) s'enterrent totalement ou partiellement dans le sol en assèchement (Kendall, 1949 ; Rondelaud et Morel-Vareille, 1975). Comme le futur sera probablement marqué par une augmentation des effets du réchauffement climatique, il nous semble opportun d'assurer la sauvegarde de G. truncatula en couplant l'isolement des populations du mollusque avec des réintroductions de limnées dans les habitats situés dans les prairies à partir de colonies plus nombreuses, alimentées par des sources permanentes. De telles introductions de G. truncatula dans des sites nouveaux, non colonisés par le mollusque auparavant, ont déjà été effectuées par notre équipe. Ces essais ont montré que de faibles échantillons de limnées (5, 10 ou 20 individus adultes) ont permis de constituer des populations stables qui se sont maintenues pendant les huit années de l'expérience (Dreyfuss et al., 2021).

Même si les frais pour isoler les habitats du reste des pâtures sont peu élevés, ils représentent une charge supplémentaire pour les éleveurs, tout au moins pour ceux qui élèvent des bovins. L'isolement des habitats colonisés par les mollusques sera cependant difficile à mettre en oeuvre dans le nord de la Haute-Vienne car les exploitants actuels de nombreuses fermes considèrent que l'élimination des Limnées tronquées dans les prairies leur permet d'interrompre le cycle biologique de F. hepatica et, par conséquent, la contamination de leurs bovins ou de leurs ovins par le parasite. Une sensibilisation répétée de ces éleveurs est donc à prévoir pour leur faire accepter ce procédé, lequel ne sera probablement appliqué qu'après une période de latence plus ou moins longue dans leurs prairies. Cette affirmation s'appuie sur le délai de 1 à 11 années que les éleveurs des 39 fermes citées dans les tableaux 3 et 4 ont mis pour utiliser le triclabendazole comme traitement antiparasitaire pour leurs bovins et abandonner l'anthelminthique à large spectre qu'ils utilisaient alors (Rondelaud et al., 2022). Une autre voie serait de sensibiliser les jeunes, qui s'orientent vers la voie de l'élevage, aux avantages et aux contraintes liés à ce procédé car ces derniers sont nettement plus sensibles que leurs aînés à l'adoption et à la mise en pratique de nouvelles techniques.

5. Conclusion

L'isolement des zones colonisées par G. truncatula dans les prairies sur les sols acides du Limousin permettrait d'établir un compromis entre les éleveurs locaux et certains défenseurs de la cause animale, préoccupés par la sauvegarde des mollusques. Cet isolement est facile à mettre en oeuvre en pratique en raison de la chute drastique constatée dans le nombre des populations de la limnée ces dernières années. Toutefois, cette méthode est plus difficile à utiliser sur les terrains sédimentaires en raison d'habitats plus étendus, colonisés souvent par des communautés mixtes de pulmonés dulçaquicoles.